Pourquoi le groupe en psychothérapie psychodramatique et quelles en sont les indications ?

POURQUOI LE GROUPE EN PSYCHOTHERAPIE PSYCHODRAMATIQUE ET QUELLES EN SONT SES INDICATIONS ?

Le groupe est une force pour certaines personnes. Il est indiqué pour certaines personnes qui éprouvent des difficultés en situations individuelles vécues comme frontales parfois, qui ne sentent pas prêtes pour une analyse individuelle, qui ne demandent pas cette forme duelle de thérapie. Dans la mesure où certaines personnes n’ont pas accès facilement à une élaboration psychique par la parole, la représentation jouée dans un groupe de thérapie permet un travail sur soi à partir du ressenti, des émotions et impressions. On n’est pas seul avec ses difficultés. Celles-ci peuvent être partagées. Dans le groupe la personne n’est pas renvoyée à sa déficience, à sa difficulté à gérer seul son monde interne mais elle est accompagnée dans cette partie d’elle même pour en faire tout de suite, dans l’ici et maintenant, quelque chose d’autre. Le groupe, espace tiers de « confrontation » et cadré, libère la parole. Les mots et les émotions reliés aux gestes peuvent y être décodés. Dans cet espace tampon ou amortisseur, ce sas de décompression, les sensations éprouvées et les mots vont mettre du lien et donner du sens. Corps et psyché peuvent s’ordonner et une activité de pensée peut mieux prendre sa place. Le groupe, matrice à tricoter des liens, permet de retrouver une certaine unité et un espace psychique propre. Grâce à un autre, on passe dans une nouvelle perspective de communication. Chaque participant devient « co-thérapeute » de l’autre. L’identification à un semblable permet dans le cadre de l’enveloppe du groupe, d’aller mieux. Mais « le psychodrame ne représente pas seulement la possibilité d’explorer les conflits intra-psychiques. En stimulant la participation rythmique à la matrice communicationnelle d’ensemble, qu’ensemble les participants sont en train de constituer, il permet à chacun une renarcissisation énergétique. » Par la verbalisation des éprouvés, le groupe devient une enveloppe corporelle pour chacun. Cette enveloppe du groupe renforce l’enveloppe individuelle défaillante. « L’enveloppe accomplit une fonction de transformation : mutatis mutandis, le groupe comme enveloppe est un appareil de la formation et de la transformation de la réalité psychique ». La mise en scène de ses sensations apporte du contenant et les échos de chacun : souvenirs, images, scènes vécues, associations diverses. Le groupe thérapeutique favorise les échanges dans un cadre structuré, remet en circulation les émotions, les pensées et la parole. Il permet de différer et de réinstaurer du temps et de l’espace pour soi. Le but final est de permettre une meilleure autonomie psychique où il n’est plus question de se satisfaire uniquement d’être porté mais de trouver du plaisir à porter et à se transporter soi-même dans une mise en pro-jet ! (*)

(*) « Subjectif désigne à la fois la faille et le saut, l’obstacle et le jet », P. Fédida. « L’objeu », dans L’absence, Paris, Gallimard, 1978. !

LES AVANTAGES DU GROUPE:

Le groupe doit être une indication posée et non un résidu d’une institution par exemple. La personne y est mise en interaction avec d’autres. L’espace proposé n’entre pas en rivalité avec les espaces familiaux conflictuels. Il s’agit non pas d’être hors de la parole mais de la prendre comme support sans risque de déclencher un acte. Il s’agit de trouver la bonne distance, soit une stratégie de détour qui n’attaque pas directement les symptômes (ex ; difficultés scolaires), qui respecte les défenses, contourne les résistances et élit une proposition thérapeutique. Le groupe propose un cadre défini rigoureusement de l’intérieur duquel grâce à une bonne distance, le sujet pourra effectuer un parcours symbolique thérapeutique. Le groupe est révélateur. Il permet l’émergence des demandes. Le travail sur le fonctionnement groupal a des effets sur le fonctionnement du groupe. Par exemple les enfants à qui on parle ça parle. Si on les regarde sans parler ça agit. Le groupe permet une enveloppe, un espace potentiel qui donne du possible. Il constitue une matrice, un claustrum où s’y protéger et trouver une certaine chaleur. Ce contenant permet l’analyse du contenu. Quelque chose va s’inventer parce que des personnes se mettent ensemble. Le groupe est co-thérapeutique en soi. Cet espace psychique commun permet le passage de l’angoisse à la verbalisation, de contenir les fantasmes destructeurs afin de les travailler ensuite. Cette mise en activité directe des psychismes entre eux, par des mouvements de liaison et de déliaison, ouvre la voie à la transmission des contenus représentatifs internes vers l’autre avec un impact de retour.

ESPACE DE MEDIATION :

C’est un espace où nous pouvons y affronter toutes les sortes de menaces qui pèsent sur nous, tout en étant hors menace. Le groupe thérapeutique, en raison de son cadre et de ses règles de fonctionnement, est un lieu dont on peut dire qu’on s’y confronte avec des problèmes qui déstabilisent, tout en entrant dans un processus de structuration. L’espace de médiation est un jeu de miroir : un espace renvoie à l’autre qui renvoie à un troisième…Mais cet espace les contient tous et permet de les situer d’un seul tenant dans leurs divergences ou non-convergences. Comment intégrer les ruptures, cassures et traumas ? Ce lieu amène la transformation de l’insupportable en supportable. Qu’une chose impensable trouve des mots, c’est déjà un travail de médiation. Dans médiation, il y a média, médium, et un philosophe aujourd’hui disparu, Vladimir Jankélévitch, a beaucoup écrit sur le problème du « médiat » et de l’immédiat. La médiation nous protège de l’immédiat, elle nous protège d’un contact direct. L’immédiat, au sens étymologique, serait de l’ordre de la violence, de l’action directe. (…) La médiation permet que l’on passe en quelque sorte de deux (la relation duelle) à trois. Le troisième terme n’est pas un sujet, car on parlerait alors de médiateur, mais c’est un objet, un support, une substance, quelque chose d’inanimé mais qui va faire changer la nature de la relation intersubjective.

ESPACE DE TRADUCTION :

Dans le groupe le psychodramatiste aura à faciliter un travail de traduction par la parole. Il se situe comme un auxiliaire à la traduction. « Cette activité traductrice évoque bien plutôt ici l’interprétation maternelle primaire qui anticipe la capacité de l’infans à nommer ses propres éprouvés » . Le thérapeute se laissera conjointement aller avec spontanéité à sa propre capacité de rêver et de jouer, sans se laisser pour autant déloger de la position tierce qui peut seule lui permettre une écoute et une activité interprétantes.

ESPACE POTENTIEL DE JEU :

L’aire de jeu est une aire neutre d’expérience où l’action structurée reste observable par le Moi. C’est une aire intermédiaire qui, par la symbolisation, permet le désillusionnement, le sevrage et l’acceptation de la réalité. Celle-ci, parfois très dure, est soulagée par l’aire intermédiaire. C’est une aire transitionnelle qui sépare et unit. C’est un lieu privilégié d’expression, de création et de surprise. C’est un lieu protégeant la relation où peut advenir un espace potentiel de liberté, de communication qui permet de jouer et d’évoluer créativement. « L’aire de jeu ne relève ni de la réalité psychique intérieure ni de la réalité extérieure » nous précise WinnicottD.(*).C’est un lieu de symboles. Le symbole anime et concrétise les choses. Le mot symbole vient du grec signifiant : « Jeter ensemble, réunir, intégrer » d’où la fonction d’intégration que joue la fonction symbolique. C’est sur le symbole que s’édifie la relation du sujet au monde extérieur et à la réalité en général. Jouer, c’est faire. Le jeu introduit au langage. Il permet à certaines personnes, chez qui le « faire » est plus facile que le « dire », d’arriver à un « dire » efficace c’est-à-dire non plus comme faisant partie de l’acte mais comme évocateur de ce dernier. Dans le dispositif psychodramatique « le mélange de souplesse accueillante à l’avènement psychique imprévu, de rigueur et d’autorité tranquille, est en effet ce qui fait défaut au moi des patients auxquels nous offrons le psychodrame, écartelés qu’ils sont entre la rigidité étouffante de leurs clivages et le risque toujours menaçant de confusion et de débordement pulsionnel lorsque ces clivages viennent à « sauter ». C’est cette insécurité qui rend compte de leur incapacité de jouer. C’est pourquoi il faut concevoir l’instauration du dispositif psychodramatique comme une véritable invitation à aborder cette région pour eux inconnue qu’est l’espace potentiel de jeu exempt de danger, rassurant, fiable et source de plaisir, dont nous supposons qu’il leur a cruellement fait défaut dans les temps originaires de la constitution de leur appareil psychique ».

(*)W.Winnicott« Jeu et réalité – L’espace potentiel -», p. 73.

LA FONCTION PHORIQUE, SEMAPHORIQUE, METAPHORIQUE ET EUPHORIQUE DU GROUPE :

Le terme de fonction phorique vient du grec « phoros » qui veut dire « qui porte ». il s’agit de désigner une fonction de portage. Il s’agit pour un enfant d’être porté, physiquement certainement, mais aussi psychiquement. Mais ce qui peut paraître évident pour un enfant reste valable tout au long de la vie. Les adultes aussi ont besoin d’être portés, la plupart du temps psychiquement. Cette nécessité qui nous accompagne tout au long de notre vie est archaïque. En effet, la peur la plus originaire est celle du lâchage, celle du déséquilibre et de la chute. Observée chez le nourrisson, on en retrouve des traces dans le langage courant quand on craint de « tomber malade » ou que l’on a peur qu’on vous « laisse tomber ». « La fonction phorique est donc censée assurer la sécurité de base d’abord, en première apparence, par le portage physique de la grossesse et du maternage. Le portage est tout aussi bien et d’emblée psychique. » Cette fonction phorique est à rapprocher de la notion de « holding » de D.W. Winnicott. Précisons que les défauts de la fonction phorique viennent résonner avec tout le registre des troubles du contact. Le sémaphore, quant à lui, est à l’origine une invention qui permet de communiquer à distance, d’un poste à un autre, en échangeant des messages à partir de combinaisons de signaux optiques. En grec, « sema » c’est le signe. Le sémaphore est donc ce qui porte le signe. « D’être porté (c’est la fonction phorique), l’enfant va passer à la fonction métaphorique quand il va prendre conscience qu’il n’a même plus besoin de se déplacer, qu’il suffit qu’il se déplace avec sa pensée, avec le langage ». C’est aussi à partir de la fonction métaphorique, du dégagement d’un nouveau point de vue, d’une perception nouvelle, autre que de nouvelles pistes peuvent être suivies et que des nouvelles décisions vont être prises. La métaphore est avant tout déplacement, décalage, dégagement d’un sens nouveau ou d’une vision d’un problème. Elle a un effet de jaillissement. « La fonction métaphorique a quelque chose d’une fonction euphorique. L’étymologie de l’euphorie vient du grec. « Euphorique », en grec, veut dire « bien se porter ». On voit dès lors comment l’efficacité de la fonction métaphorique vient renforcer celle de la fonction phorique dans une sorte de bouclage des trois fonctions, puisque la production des métaphores génère un meilleur portage.

LE GROUPE A L’ORIGINE DE LA PSYCHOTHERAPIE ! :

« Les potentialités résolutives et métabolisatrices que comporte le groupe s’expriment à des degrés distincts : comme dépôt et cadre psychiques externalisés ; comme pare-excitation et contention ; comme appareil de transformation psychique à travers les effets métaboliques que produit l’investissement de la psyché du sujet par plus-d’un-autre sujet. » « Cette aptitude psychothérapeutique et psychoprophylactique du groupe s’inscrit de longue date dans l’histoire des sociétés humaines, et la psychothérapie est initialement une thérapie par le groupe, une thérapie en groupe (en Grèce) et une thérapie du groupe (en Afrique). » « La sociabilité n’est pas une dimension que l’être humain acquiert progressivement. Elle n’est pas une dimension secondaire mais originaire, constitutive de sa psyché. La « groupalité » est en nous avant que le « je » ne soit formé et les croyances, les valeurs, les mythes et les idéologies de base qui marquent la socialisation et l’adaptation au groupe se conjugent dans le moi sur des tréfonds co-soïques propres à cette appatenance. »

Références:

Ophélia Avron, La pensée scénique,p.9.Ed.Eres.Paris 1996.

René Kaës, La parole et le lien, p.173.Ed. Dunod, Paris, 1994.

Jean-Marc Dupeu,L’intérêt du psychodrame analytique.P.249..Ed. PUF.Paris 2005.

Jacques Michelet, Handicap mental et techniques du psychodrame. P.21.Ed. L’harmattan,. Paris 2008.

Jean-Marc Dupeu, L’intérêt du psychodrame analytique.P.31.Ed. PUF. Paris 2005.

Didier Robin, Dépasser les souffrances institutionnelles.p.170.Ed. PUF. Paris 2013.

Ibidem.p.181. Ibidem. P.185.

René Kaës, La parole et le lien, p.168..Ed. Dunod, Paris, 1994.

Ibidem.p.168.

Le Co-Soi et la groupalité psychique. Exposé d’Ada Abraham, 25/04/1983.21 Herestraat Leuven chez Pierre Fontaine. Réf. Abraham,A.1994. « Le cosoi ou le syntéisme primaire ». Les voies de la psyché. Paris. Dunod.

Cothérapie et psychodrame

 Dans les pages qui suivent, mon propos concernera le psychodrame d’orientation psychanalytique en groupe. Ceci est à distinguer du psychodrame de groupe ainsi que du psychodrame individuel, expériences certes intéressantes mais qui demanderaient à elles seules tout un exposé.

 
INTRODUCTION
 
Comparé à ce qui se passe dans l’expérience analytique classique, en psychodrame, les participants et les cothérapeutes « consomment » d’entrée de séance, du regard, de la voix, du corps, de la parole et du discours[1]. Autrement dit, les pulsions scopiques et invocantes et les processus identificatoires et projectifs sont immédiatement « mis en acte ».
 
Il est peut-être utile de rappeler que le psychodrame est né en opposition à la psychanalyse. On raconte qu’un jour Freud a demandé à Moreno ce qu’il faisait, c’était à Vienne en 1912. Moreno lui aurait répondu : « Je commence là où vous finissez ». En 1925 Moreno quitte l’Europe pour les Etats-Unis emportant avec lui sa création qui s’y développera largement.
 
En 1945, par le fait d’ Anne Ancelin-Schutzenberger, qui s’est formée au psychodrame chez Moreno, le psychodrame revient en Europe. Se formant à la psychanalyse en France, Anne Ancelin y développe alors un psychodrame qualifié de triadique. D’autres psychanalystes s’en inspirèrent et repensèrent plus radicalement le psychodrame à partir de la conception psychanalytique des structures psychiques et du traitement. Ce fut le cas notamment de S. Blajan-Marcus qui fonda avec Paul et Génie Lemoine la société d’étude du psychodrame thérapeutique (SEPT). Leurs références deviendront la conception psychanalytique lacanienne de l’appareil psychique et du corps pulsionnel dans leur triple dimension (symbolique, imaginaire et réel) et au regard des trois instances (besoin, demande, désir), dimensions et instances présentes dans toute construction humanisante du petit d’homme, de ses désirs, de son rapport à ses semblables et au grand Autre[2].
 
Ces psychanalystes repenseront aussi le travail psychique et corporel à effectuer en vue de répondre aux demandes de traitement pour allègement des souffrances et symptômes dont les causes majeures s’originent dans l’inconscient.
 
Un psychodrame d’orientation psychanalytique est-il possible alors que cette pratique s’est élaborée au départ en opposition à la psychanalyse ? Je vais tenter de donner quelques éléments de réponse à cette question. En me basant sur mon expérience psychodramatique et psychanalytique j’affirme que oui, c’est possible.
 
Mais comment ? Avec quels outils et sont-ils identiques à ceux qui sont utilisés dans les cures psychanalytiques ?
 
Enfin, j’envisagerai les limites, voire les impasses de cette conjugaison du psychodrame et de la psychanalyse.
 
PSYCHODRAME ET PSYCHANALYSE
 
Pour que le psychodrame puisse être à bon droit qualifié de psychanalytique, il faut, mais il ne suffit pas, que les formations de l’inconscient (symptômes, rêves, lapsus, mots d’esprit…) se mettent à circuler. Il est non seulement nécessaire d’utiliser les outils conceptuels majeurs de la psychanalyse, c’est-à-dire le transfert et l’association libre. Il importe de plus que ceux-ci soient au cœur du discours du groupe. Il faut enfin que, par le jeu et ses techniques (double, aparté, etc.), ces formations de l’inconscient soient dépliées, analysées et que les psychodramatisants puissent en tirer les conséquences dans la réalité et le réel de leur existence.
 
Vous pouvez dès à présent entrevoir que cela pose quelques difficultés. En effet, en psychodrame et en psychanalyse, l’inconscient est inévitablement interpellé de façon différente puisque le cadre est différent tandis que les outils conceptuels et techniques utilisés le sont aussi. Enfin, explicitement ou implicitement, les visées de ces deux cures divergent en plus d’un de ses aspects.
 
LE CADRE
 
Le psychodrame se réalise au sein d’un groupe (même le psychodrame individuel) et il est dirigé très souvent par un couple de psychodramatistes auquel se joint fréquemment un observateur. Ceci d’entrée de jeu, si je puis dire, produit des transferts pluriels et diffractés. Nous reviendrons plus loin sur cette question des transferts.
 
Du fait du groupe, se déploient d’emblée différents mécanismes psychiques dont le principal est l’identification. Celle-ci est induite non seulement par la parole mais aussi par le corps de chacun des membres du groupe. Ce processus est à la fois nécessaire et structurant mais aussi aliénant. Ce sera cette dimension aliénante qu’il sera important d’alléger, voire de supprimer. Car ce processus, dans sa dimension S.I.R., permet très souvent d’éviter l’affrontement à la solitude structurale de tout parlêtre face à sa naissance et à son devenir. Autrement dit, à la « vérité » de la structure qu’inévitablement fait émerger l’angoissante question du désir de l’Autre[3]. Cette « Vérité » signifie au sujet que le savoir de l’analyste et des cothérapeutes ne venait que nourrir les fantasmes qui véhiculaient l’objet du désir en le substantifiant.
 
Il me semble que le dispositif du groupe de psychodrame ne peut mener à cette fin.
 
Pourquoi ? Evoquons quelques raisons.
 
D’une part, les formations de l’inconscient ont une histoire singulière et transgénérationnelle. Tel psychodramatisant n’est pas un autre, et chaque psychodramatisant est subjectivement divisé du fait qu’il est un être soumis au langage. Rappelez-vous le titre du livre de Julia Kristeva : « Etranger à lui-même » et la formule de Rimbaud « Je est un autre ».
 
Par ailleurs, le discours du groupe et la présence de « chaque UN » va proposer de nouvelles identifications et donc de nouvelles aliénations. N’oublions pas non plus que le processus d’identification est un processus inconscient, qui se produit sans le savoir et sans le consentement du sujet. N’oublions pas aussi que ce processus d’identification maintient le refoulement. « Je me fais l’objet de la demande de l’autre en incorporant un de ses traits, de ses symptômes » ou « Je me fais objet pour l’autre, pour sa jouissance et pour me faire aimer de lui ».
 
Comment éviter dans le groupe ce que Freud nommait « la contagion affective », par laquelle l’individu « devient incapable d’observer une attitude critique et se laisse gagner par la même émotion (que l’ensemble des autres)»?
 
Nous savons que, pour Freud, l’émotion était une stimulation, un appel au désordre, voire à l’émeute.
 
Quant à la règle de l’association libre, elle est certes possible et de mise pour le début des séances, voire du jeu, mais elle est inévitablement interrompue par la parole des autres participants et la mise en place du jeu lui-même.
 
Vous pouvez facilement comprendre, vu ce que je viens d’avancer, que je ne puis souscrire à une thèse de Paul Lemoine et une autre de G. Lemoine.
Il fut un temps, en effet, où Paul Lemoine affirmait que le psychodrame menait au même but que l’analyse mais par d’autres chemins, affirmation sur laquelle il est revenu par la suite. Quant à Génie Lemoine, elle déclara un jour « que la seule différence entre le psychodrame et la psychanalyse était le jeu ». Mais peut-être a-t-elle changé d’avis depuis lors.
 
Par contre, je souscris à ce que Paul et Génie Lemoine affirmaient par ailleurs : « Le psychodrame a pour fin de rompre l’individu à la difficile pratique de l’intersubjectivité ». Je souscris aussi à ceci que soutenait Patrick De Neuter : « Le psychodrame, du fait du jeu et du travail du groupe, a des effets analytiques et psychothérapeutiques ». Parmi ces effets spécifiques, il précisait notamment que le psychodrame était un outil privilégié pour l’analyse des identifications et des projections
 
 
 
CO-THERAPIE, COUPLE DE PSYCHODRAMATISTES
 
Comme je le disais en commençant, le psychodrame analytique en groupe se pratique le plus souvent par un couple d’analystes et un observateur.
 
Par cothérapie, j’entends : la conduite partagée du processus thérapeutique, dans le même temps, le même lieu et par les mêmes personnes. Toutes les trois sont de formation psychanalytique. Il faut savoir que le travail thérapeutique, quel qu’il soit et donc à fortiori en groupe et avec des cothérapeutes, ne laisse pas le clinicien indemne. Chaque thérapeute sera mis à l’épreuve dans ce qu’il est comme analyste, comme personne, comme sujet et dans sa relation à son partenaire et au groupe.
 
Ce qui fonde le groupe comme le couple, c’est la croyance en une unité. Ce qui lie chacun dans le groupe, c’est la référence à un idéal commun, idéal représenté et incarné par un leader. Tel est l’enseignement de Freud. Nous retrouvons cette croyance et cet idéal chez chaque membre du groupe et aussi dans le couple des cothérapeutes.
 
Ce qui unit un couple réel, je désignerai ainsi, un couple dans la réalité quotidienne, ou encore « dans la vraie vie », c’est l’amour et le désir et plus primordialement le désir sexuel. Or, la psychanalyse nous a démontré la grande difficulté de la cohabitation de l’amour et du désir pour tout sujet et plus particulièrement pour le sujet mâle. Pour dire les choses très brièvement, l’amour souhaite faire UN et relève du narcissisme, c’est-à-dire du moi. Le désir cherche un objet qui pourrait le satisfaire. Mais ce désir est soumis à la rude épreuve de l’impossibilité commune de trouver cet objet de pleine satisfaction.
 
QU’EST-CE QU’UN COUPLE ?
 
Un couple, nous dit P. De Neuter, « est constitué par un ensemble complexe de relations, d’expériences, de liens conscients et inconscients très divers »[4]. Nous retrouvons cette complexité dans le couple de psychodramatistes. Qu’il le veuille ou non, ce couple sera exposé aux transferts et contre-transferts pluriels des membres du groupe : couple parental, conjugal, d’amants, hétérosexuels ou homosexuels, etc. Il sera donc le support de l’émergence des problématiques infantiles et sexuelles des participants. Comme l’écrit Jean Forest : « … il sera interrogé dans ses rapports affectifs, dans son identité sexuelle différencié (et j’ajoute ou non) et chacun le sera dans sa conception des rapports homme-femme, dans ses choix d’objet et son mode de vie »[5].
 
Cette complexité va s’accroître lorsque le couple de cothérapeutes est aussi un couple « dans la vraie vie ».
 
DE QUELQUES DIFFICULTES
 
Envisageons d’abord ces difficultés qui, comme vous le pressentez, vont quelque peu compliquer le travail des analystes et, par conséquent, peut-être aussi celui des psychodramatisants.
 
Les images et représentations que le couple réel a de lui-même teinteront les images et représentations qu’ils se font en tant que couple de psychodramatistes. Le cadre et la fonction vont permettre, bien sûr, une certaine distanciation par rapport à leur réalité. Mais comment vont-ils entendre et se prêter, prêter leur appareil psychique et leur corps au jeu et enjeux des transferts et identifications ?
 
Comment vont-ils permettre aux membres du groupe d’analyser ces processus par le jeu et ses techniques ?
 
La perception par les participants de chacun des psychodramatistes et du couple sera peu ou prou différente. Il en découle que chaque psychodramatiste est interpellé différemment. Les interventions et interprétations de l’un et de l’autre vont elles aussi être vécues différemment par chacun des participants du groupe.
 
Les transferts et contre-transferts de ceux-ci mobilisent le couple de psychodramatistes dans ses fantasmes. Il devra métaboliser ces transferts différents qui prennent l’un et l’autre pour objet. Il arrive fréquemment que l’un des deux soit l’objet d’un transfert positif et l’autre d’un transfert négatif. Bien que l’on sache que ce n’est pas à la personne du psychodramatiste que ce transfert s’adresse, ce savoir n’annule pas les réactions contre-transférentielles, ni non plus les conflits que ces transferts différents peuvent faire surgir dans le couple, surtout si ces diffractions du transfert visent précisément à disjoindre le couple des thérapeutes représentant dans la cure le couple des parents. Tout couple de psychodramatistes devra donc métaboliser les effets de ces transferts, surtout si c’est un couple réel pour lequel les enjeux dépassent largement la sphère professionnelle. Il est en effet aussi mobilisé dans sa réalité quotidienne. Comment le couple va pouvoir travailler et vivre dans la réalité avec ces différents transferts ?
 
Autre cas de figure : la répartition des transferts maternels et paternels qui se ne se distribuent pas nécessairement en fonction du sexe biologique. Ici aussi, la question s’impose de savoir comment être et agir pour que cela n’éveille pas un conflit dans la réalité professionnelle, ne suscite pas les agressivités, voire les souvenirs dans cette même réalité professionnelle. Lorsque le couple est réel, on voit comment ces projections peuvent réactualiser les « scènes de ménage » qui surgissent tôt ou tard dans toute vie de couple?
 
Au long de la cure, la ou les tâche(s) aveugle(s) de chaque psychodramatiste est (sont), si je puis dire, « mise(s) en scène sur la place publique ». Et cette mise en scène publique n’est pas sans effet sur l’autre psychodramatiste. Comment vivre ces différences quant à leur tâche aveugle ? Et s’ils sont focalisés sur leurs tâches aveugles respectives, pourront-ils être attentifs à celles des différents membres du groupe ?
 
Lorsque leur couple est réel, comment pourront-ils repérer, analyser ces tâches aveugles sans réveiller et faire surgir des souvenirs, affects, fantasmes qui relancent la dynamique du couple dans leurs éventuelles difficultés ? Bien plus, cette tâche aveugle et les autres mécanismes que nous venons d’évoquer peuvent réinterroger les partenaires du couple sur leur choix d’objet d’amour et de désir et susciter, éventuellement, un sentiment d’avoir été trompé ou trahi par le conjoint. Il y aura en tout cas découverte parfois positive, parfois négative, de facettes de l’autre jusqu’alors ignorées.
 
Il est une autre difficulté à surmonter par tout couple de psychothérapeute. Trouver une façon de traverser sereinement les conflits qui émergent du fait d’une lecture différente de ce qui se passe pour tel ou tel participant ou dans la dynamique du groupe ou encore par rapport à telle intervention ou interprétation. Lorsque le couple est réel, la difficulté est redoublée. Comment analyser et traverser ces conflits, s’ils rejoignent certains conflits que vit le couple dans sa réalité quotidienne et son devenir ?
 
Abordons une dernière difficulté spécifique aux psychodramatistes formant un couple dans la vraie vie. Dans le groupe de psychodrame, une des règles qui conditionne la présence des participants dans le groupe est idéalement, qu’ils ne se connaissent pas et en tout cas qu’ils n’aient pas de relations entre eux en-dehors des séances. Comment les participants accepteront-ils ces règles lorsqu’ils sont mis en présence d’un couple réel qui n’est pas soumis à cette règle. Acting Out et passages à l’acte ne seront-ils pas « suggérés », de ce fait aux membres du groupe pour peu que la « transgression » soit une de leur modalité de jouissance ? Par ailleurs, la liberté de dire est-elle possible lorsque la règle d’abstinence de relations sexuelles réelles ne concerne que les participants ?
 
AVANTAGES DE LA CO-THERAPIE
 
Mais la cothérapie n’a pas que des inconvénients et n’engendre pas que difficultés.
 
L’un des avantages de la cothérapie, concerne précisément ces tâches aveugles que nous venons d’évoquer. La tâche aveugle de l’un étant rarement celle de l’autre, le partenaire peut prendre le relais dans l’écoute et la direction du jeu psychodramatique. Par conséquent, maniée adéquatement, ces différences font que la séance de groupe peut être en même temps une séance de supervision réciproque au bénéfice du groupe comme pour chacun des psychodramatistes.
 
La cothérapie n’est pas seulement un moment d’écoute et éclairage à partir de différents points de vue. C’est aussi un moment de plaisir partagé consécutif au travail d’analyse à partir du jeu et de ses effets.
 
La cothérapie peut aussi être un moment d’accroissement du désir averti c’est-à-dire débarrassé (du fait de l’analyse personnelle et de la formation psychodramatique) de la recherche de trouver un objet qui vienne satisfaire ce désir.
 
Ce qui implique que les psychodramatistes aient subjectivé et se soient approprié l’idée que le désir n’a pas d’objet pleinement satisfaisant et que la satisfaction du désir laisse toujours à désirer. Il s’agit là d’un des aboutissements de la cure psychanalytique. Ce manque d’objet implique la reconnaissance de la perte inaugurale de cet objet qui aurait été complètement comblant et que c’est ce « manque d’objet » qui nous rend désirant. D’où la question qui s’est posée et se pose encore sans doute, peut-on fonctionner comme psychodramatiste d’orientation analytique sans être passé par l’expérience d’une psychanalyse classique ?
 
 
Mais revenons à la cothérapie, pour en signaler la dimension générale de partage, d’expérience et de formation continue. Ce désir davantage averti permettra l’émergence d’un désir de création pour les cothérapeutes comme pour les participants.
 
Par ailleurs, on ne peut nier que la cothérapie soit aussi un support réciproque lors de moments difficiles dans la dynamique du groupe (agressivité, haine,) ou dans le jeu. Les psychodramatistes ont à faire face à la peur, voire à l’angoisse que le groupe peut susciter. Etre deux ne protège pas du danger mais éloigne la peur au bénéfice du bon fonctionnement des psychodramatistes et donc au bénéfice des participants.
 
Enfin, comme le disaient P. et G. Lemoine, que j’évoquais en commençant, « le psychodrame a pour fin de rompre l’individu à la difficile pratique de l’intersubjectivité ». Je pense, en effet, que le psychodrame en et de groupe comporte cet apprentissage pour les participants comme pour les cothérapeutes. Que cet apprentissage est d’ailleurs une nécessité pour la vie, la vie de couple et la vie en société.
Pourquoi pas ? Mais nous sommes là dans une tout autre perspective que la perspective psychanalytique et plus spécifiquement la perspective lacanienne quant à la conception du transfert et de la finalité de la cure.
 
IMPORTANCE DE LA SUPERVISION
 
Afin de mener à bon port le travail et chacun, il me semble indispensable qu’après chaque séance, un temps de réflexion, de partage et de reprise des difficultés soit prévu, afin d’en repérer les effets des séances tant sur les participants que sur les cothérapeutes.
 
Une supervision du couple des cothérapeutes permet d’enrichir chacun et peut avoir des effets des plus bénéfiques pour les participants.
 
 
EFFETS POSITIFS POSSIBLES SUR LES COUPLES PROFESSIONNELS ET REELS
 
Nous avons envisagé les effets négatifs éventuels de la cothérapie sur les couples de thérapeutes et les effets positifs sur le fonctionnement du groupe.
 
Néanmoins la cothérapie n’a pas que des effets négatifs sur le couple professionnel et même sur le couple réel.
 
L’expérience enrichissante de la création à deux, de la cocréation de quelque chose de neuf pour les participants, partage de leur formation respective et donc approfondissement des formations de chaque uns, de la supervision réciproque, le fait d’avoir traversé ensemble des moments difficiles et de s’être soutenus dans ces épreuves professionnelles, d’avoir partagé avec le groupe des récits de vie éprouvants, renforce les liens de camaraderie, d’estime réciproque, voire d’amitié. Certains couples de cothérapeutes deviennent des couples d’amants « dans la vraie vie ». Il arrive même que certains s’épousent.
 
De même, pour les mêmes raisons, certains couples réels peuvent se trouver enrichis et renforcés malgré les difficultés rencontrées. Un couple n’est pas l’autre, mais pour ma part, aujourd’hui, je ne recommanderais pas cette pc-thérapie en couple réel.
 
CONCLUSIONS
 
Et je conclurai par une joke ad hoc : « Le couple est le lieu où l’on peut résoudre à deux le problème que l’on n’aurait pas si l’on vivait seul ».
 
Avril, 2013
 


[1] Le discours, c’est ce qui fait lien social
[2] Voir à ce propos la collection de Bulletins de la S.E.P.T., le livre de B. Robinson “Psychodrame et psychanalyse” (De Boeck, 1998) ainsi que ces deux articles de P. De Neuter “Le groupe et le jeu psychodramatique : une perspective analytique ». In « Acta psychiatrica belgica », 1978, n°78, pp. 269-286 et “Les interprétations théâtrales, psychodramatiques et psychanalytiques in “Psychodrame et psychanalyse, Cahiers du CFIP”, 1980.
[3] Question qui, en fin de cure psychanalytique, aboutit à la réalisation que l’existence de cet Autre n’est qu’une construction, un fantasme, une représentation certes nécessaire pour un temps, comme l’est la névrose de transfert, mais leurante. L’analyse en permet la déconstruction et aboutit au constat que cet Autre est barré, voire qu’il n’existe pas sinon comme instance psychique.
[4] La cothérapie en cas de thérapie analytique de couple, in Epistoles, 2009, n°1, pp. 38-50.
 
[5] Raisons et déraisons de la cothérapie en psychothérapie analytique de groupe, Psychothérapie, vol. 8, 1998, p. 25.

L’observation en psychodrame

Observer est une procédure et une technique classique dans le travail des groupes mais le compte rendu de cette observation n’est pas toujours ni obligatoirement communiqué aux participants. Elle sert alors uniquement aux animateurs auxquels l’observateur apporte son analyse et ses commentaires après le déroulement de la séance de groupe.

Dans les groupes de psychodrame que nous animons nous accordons assez d’importance à l’observation qui est communiquée en partie aux participants dans les dernières minutes de la séance et qui la termine, je voudrais donner une idée de ce travail d’observation en envisageant successivement son but et sa fonction, son contenu et son élaboration, sa forme et son style. Évidemment certains de ces trois aspects se recouperont dans cet article.

Il existe des méthodes et des canevas d’observation décrits par différents auteurs notamment en ce qui concerne la dynamique de groupe. Nous ne nous inspirons particulièrement d’aucun et notre conception de l’observation s’est élaborée au fur et à mesure de notre pratique et de nos lectures.

Dans notre travail en coanimation alternée l’animateur d’une séance devient l’observateur de la séance suivante. Mais il ne devient pas pour autant forcément un personnage muet. L’observateur peut intervenir dans la séance en doublant un participant au cours du jeu psychodramatique ou aussi en dehors du jeu en se déplaçant derrière un participant pour le doubler dans une difficulté émotionnelle et un embarras d’expression. Sa position d’observateur le met parfois en meilleur position pour comprendre une situation et en faire part dans un doublage.

But et fonction

Mais revenons à l’observation proprement dite. Elle est à la fois un résumé de la séance -on a coutume de dire que l’observation est la mémoire du groupe-, et à la fois par la ponctuation donnée à la séance une forme d’interprétation et d’interjection. L’observation apporte quelque chose de nouveau : elle met en évidence certains éléments, elle en suggère d’autres ou elle questionne le bien fondé de certains propos avancés dans le groupe. Son efficacité tient au fait qu’elle dit ce qui s’est passé. Elle sert parfois à nommer, à mettre un nom sur un acte un comportement, ne fut-ce que sous une forme interrogative. Son but est d’arriver à une lecture reflétée de la séance qui est faite en référence à la théorie qui sous-tend le travail, des animateurs.

Contenu et élaboration

L’observation reflète le mieux le contenu de la séance en en rappelant le thème et en le rapportant éventuellement à celui de la séance précédente. Le thème (ou les thèmes) est habituellement traité ou introduit d’une manière particulière. L’observateur indique comment il s’est dégagé, dans la séance, le sens qu’il prend par rapport à la dynamique et le discours du groupe et il détaille les éléments signifiants qui le constituent.

Une place essentielle est habituellement faite au jeu psychodramatique dans l’observation. Le jeu est en rapport avec le thème et peut découler comme une suite linéaire de l’intentionnalité d’un participant. D’autres fois il aura été mis en place après un échange et des tensions entre participants ou par rapport aux animateurs ou après des refus d’autres situations de jeux ou des inhibitions. Le choix par le protagoniste (acteur principal) des membres du groupes qui dans la scène jouée prendront des rôles auxiliaires mérite d’être relevé.

Par exemple le protagoniste s choisi pour jouer sa mère une personne qui justement dans une séance ou une scène précédente s’est montrée particulièrement agressive alors que dans son jeu il va lui demander d’avoir un comportement opposé. Ce choix ne risque-t-il pas de faire échouer ce jeu ou au contraire ne s’avérera-t-il pas que si la mère représentée se montre différente de celle que le protagoniste présentait dans son récit c’est bien parce qu’elle est la représentation d’une mère intériorisée par lui et qu’une telle mère fait partie de ses images inconscientes agissant en lui à son insu.

Le jeu petit aussi faire apparaître des achoppements, des discordances, des décalages ou des aspects nouveaux_ Ceux-ci sont parfois provoqués par les réparties des rôles auxiliaires. Il faut signaler l’inattendu du déroulement du jeu, ou bien sa conformité étonnante avec la situation que le protagoniste veut représenter et qu’il aura ainsi réussi à induire parfaitement chez les acteurs des rôles secondaires. L’observateur relèvera les attitudes corporelles, les éléments non verbaux du jeu ainsi que les réactions du groupe et la façon dont le jeu s’est ter-miné.

L’observateur pointe ensuite quelques réactions exprimées dans l’après jeu. Celles-ci ont parfois permis la mise en place d’un deuxième jeu abordant une facette complémentaire du thème traité. L’observateur indiquera éventuellement d’autres jeux qui auraient pu se dérouler soit pour le protagoniste principal soit pour ceux qui ont réagi en écho et interroge ce qui y a fait obstacle.

L’observation est une improvisation dont il s’agit de clôturer l’élaboration alors qu’ont encore lieu les derniers échanges entre les participants et l’animateur dans la fin de la séance. Il faut donc avoir noté ou souligné tes principaux éléments autour desquels s’articulent les commentaire de l’observation. Je les inscris dans ta colonne de droite tandis que l’essentiel du texte de la séance est inscrit dans la colonne de gauche_ La présentation de l’observation au groupe ne suit pas nécessairement l’ordre chronologique de la séance et un système de numérotation et de renvois fléchés me permet d’ordonner mon propos.

Ces précisions techniques peuvent paraître relever d’une minutie tatillonne. Mais le travail de l’observateur a pour but d’isoler puis de relier les éléments signifiants et complexes qui se manifestent dans la séance pour en donner une présentation qui fasse sens. Pour certaines séances un fil conducteur se dessine assez tôt et les éléments signifiants viennent s’y accrocher au fur et à mesure du déroulement de la séance. Pour d’autres c’est la fin de la séance qui permettra de réorienter tout ce qui a précédé. Enfin pour d’autres séances l’observation reste assez proche du contenu manifeste.

Forme et Style

Le canevas d’observation que nous venons de décrire n’est jamais suivi à la lettre et l’observateur utilise selon les cas certains fils de la trame de la séance qu’il fait ressortir en restant de toute façon assez bref. La communication de l’observation au groupe ne doit pas dépasser trois à quatre minutes. En donner une illustration me parait difficile car il faudrait d’abord relater la séance. Mais après avoir donné une idée du travail effectué par l’observateur pendant la séance j’aimerais envisager la question de la forme qu’il donnera à la communication de son observation.

Pour les participants il y a une différence entre savoir ou dire certaines choses et se les entendre dire. C’est cet effet que l’observateur vise en retournant au groupe et aux participants leur propre discours et en donnant à la séance un certain relief à travers l’observation. Dans la forme de la communication l’observateur garde une certaine neutralité, et il relate un certain point de vue sur la séance. Il témoigne de ce qu’il a entendu et vu.

L’observateur résume la séance en s’adressant à la fois au groupe et à chaque participant et de telle façon que chacun puisse éventuellement se sentir concerné par ce qui est dit d’un autre_ C’est la raison pour laquelle dans l’observation nous adoptons comme règle de ne jamais désigner un participant par son prénom – ou exceptionnellement. Nous employons une forme impersonnelle et universelle : « Quelqu’un a voulu jouer ceci », « on a pensé », « plusieurs participants ont dit », « le père craie présenté comme. L’emploi du « on », a parfois heurté l’un ou l’autre participant auquel on avait appris à bannir de son vocabulaire « on » impersonnel. Notre intention est de relever une histoire et une logique dans lesquelles les mécanismes inconscients d’identification dépassent l’individu et notre but est de désigner derrière des rôles les instances symboliques qui concernent tous les membres du groupe. l’observateur peut ainsi garder une plus grande distance formelle par rapport à son dire. tout en s’impliquant dans sa parole.

L’observation est une partie constituante du psychodrame que nous pratiquons dans le respect des règles et principes ici décrits et en référence aux concepts psychodramatiques et psychanalytiques. Mais selon la personnalité de l’observateur interviendront des différences dans la forme donnée à l’observation. Par exemple j’utilise parfois les ressorts stylistiques de certains genres littéraires pour présenter l’observation et c’est bien modestement que je fais cette comparaison avec des genres littéraires dont les caractéristiques De sont employées que de façon limitée.

Mon observation peut par exemple prendre la forme du conte (il y avait une fois), ou celle tic la nouvelle brève ait du reportage (alors que le groupe discutait calmement quelqu’un s’en est pris à….), ou de l’histoire à tonalité drôle ou humoristique (on attendait… et c’est… qui surgit), ou de la devinette (à quoi pouvait-on penser quand…) ou du récit plus poétique. J’aime à l’occasion faire usage personnellement d’un proverbe ou d’un adage. Peut-être s’agit-il ainsi d’allier l’individuel à l’universel, et aussi de détendre le groupe avant la fin de la séance en évitant de faire de l’observation une réduplication monotone de la séance. Il me semble également que le style de l’observation peut faire raisonner et comprendre: un mode de communication et de relation dont le langage a été porteur pendant la séance.

Un danger pourrait guetter l’observateur : Celui d’en faire trop, de vouloir briller par son observation ou de donner trop de plaisir au groupe. Les conditions dans lesquelles l’observation s’improvise préservent habituellement l’observateur d’un tel risque. Il ne doit pas se vouloir le super-animateur ni le super-participant. Son observation doit garder une dimension d’ouverture et de questionnement.

On a comparé l’observateur au scribe. Son rôle est en effet celui de narrateur qui à la fois constate que l’histoire tient debout et à la fois se pose des questions à son sujet. II enregistre les contre-coups et les après-coups du psychodrame et tout en se posant des questions il les pose au groupe dans une forme renouvelée.

(Paru initialement dans Folia Psychodramatica Vol. 7 – 1988)

Le Service de Santé Mentale à l’ULB

Le Service de Santé Mentale à l’ULB propose différentes modalités de psychodrame à visée thérapeutique ou formative : 

 

  1. le psychodrame psychanalytique individuel,
  2. le psychodrame de dégagement,
  3. un stage de psychodrame psychanalytique individuel
  4. le psychodrame de groupe pour jeunes de 10 à 18 ans

1. le psychodrame psychanalytique individuel

 

Créé en 1946 par des analystes d’enfants et rapidement adopté par les analystes d’adultes, le psychodrame psychanalytique individuel s’est inscrit et développé dans beaucoup d’institutions de soin françaises. Pour certains patients, enfants, adolescents ou adultes dits « difficiles », le potentiel thérapeutique de ce dispositif a véritablement été reconnu.  

Le psychodrame psychanalytique individuel est un aménagement du cadre de la cure psychanalytique classique. Au départ d’un scénario proposé par un patient, ce sont ses fantasmes, ses affects, ses désirs, ses défenses du moi, ses résistances, ses objets internes, et ses instances psychiques qui tenteront d’être figurés dans des scènes jouées. Autrement dit, ce sont des éléments du monde interne du patient irreprésentable pour lui qu’il s’agit de mettre en forme au travers du jeu. Par son enracinement dans le corps et dans l’acte, par son appui sur le visuel, le tactile, la posture et le geste, le jeu constitue un véritable passage « par l’acte ». Passage que nous considérons comme nécessaire pour la relance des processus de symbolisation des patients pour lesquels nous posons l’indication.  

Concrètement, comment joue-t-on ? 

L’espace est divisé en trois parties: d’un côté se tiennent les acteurs thérapeutes, d’un autre, le patient avec le meneur de jeu, et enfin, un troisième espace constitue l’aire de jeu.

En ce qui concerne le déroulement de la séance, un premier temps est consacré à la discussion entre le patient et le meneur de jeu. L’évocation d’une idée ou d’une situation permet sa transposition dans un scénario simple.  Le patient précise et nomme les composantes de la scène qu’il souhaite jouer. Il désigne, parmi les acteurs thérapeutes, en retrait et silencieux, ceux qui prendront les différents rôles proposés. 

Vient alors le deuxième temps, celui du jeu qui se déroule dans l’aire de jeu où les acteurs thérapeutes et le patient se rejoignent. Le jeu se situe dans le registre du « comme si ». La règle est que l’on fait semblant et donc on ne se touche pas. Les gestes sont ébauchés.  

La scène se joue sous le regard du meneur de jeu qui ne joue jamais. Il peut inviter d’autres acteurs thérapeutes à intervenir dans le jeu. Ceux-ci précisent alors leur rôle en entrant dans l’aire de jeu. 

Le troisième et dernier temps est marqué par l’arrêt de la scène par le meneur de jeu (parfois aussi par le patient). Les acteurs thérapeutes regagnent leur place assise et restent à nouveau silencieux et en retrait.

Suivent alors les échanges entre le patient et le meneur de jeu.  Les interventions de celui-ci, son attitude et son écoute servent de support à l’intégration par le patient de ce qui s’est joué.  

La séance dure une demi heure et permet généralement le déploiement de deux ou trois jeux. 

Quelle sont les indications thérapeutiques du psychodrame psychanalytique individuel ? 

Il s’adresse aux patients ayant des troubles identitaires graves, des problèmes de  symbolisation,  ayant essentiellement recours à l’acte de décharge, fonctionnant sur le mode du clivage, souffrant d’une trop grande rigidité de leur processus psychiques ou d’un manque de « pare-excitations ». Enfin, citons les patients qui ont vécu des traumatismes inélaborables dans le cadre d’une psychothérapie classique, ou encore ceux qui refusent la dépendance et donc celle du lien thérapeutique duel.

Modalités pratiques

 Tout clinicien qui souhaite adresser un patient peut contacter M. Christophe du Bled (02 503 15 56). 

Nous pensons nécessaire qu’un patient désireux de participer à un psychodrame soit suivi par un thérapeute référent (autre qu’un thérapeute participant au psychodrame). C’est avec lui que le patient pourra reprendre, dans l’après-coup de la séance de psychodrame, des éléments de ce qu’il y aura travaillé. Du reste, le thérapeute référent pourra garantir que les éléments de réalité de la vie du patient sont pris en compte de manière spécifique.

A ces conditions, un entretien préliminaire sera proposé au patient. Avec lui, la pertinence de la mise en place d’un dispositif de psychodrame sera alors évaluée. 

Les séances ont lieu chaque jeudi, en dehors des congés scolaires, de 17h30 à 20h à PsyCampus, avenue Buyl 127 à 1050 Ixelles.

Le prix de chaque séance de psychodrame est de 17 euros 1/2 , 7 euros OMNIO ou de 5 euros pour les étudiants de l’enseignement supérieur et universitaire. 

2. Le psychodrame de dégagement 

Depuis quelques années, nous avons étendu le champ d’application du  psychodrame psychanalytique individuel au psychodrame dit « de dégagement ». Il s’agit d’une utilisation de quelques séances ponctuelles de psychodrame dans des situations de psychothérapie « classique » quand le thérapeute et/ou le patient éprouve un sentiment d’enlisement persistant. Le psychodrame de dégagement vise à tenter de relancer le processus thérapeutique. 

Quelques séances – en général trois –  sont proposées au patient pour explorer ce qui pose problème. Parfois, les séances se déroulent en présence de son thérapeute individuel placé en position d’observateur.

Le thérapeute souhaitant proposer ce dispositif à un de ses patients ou en discuter de l’opportunité contacte M Christophe du Bled ( 02 503 15 56)

3. Stage de psychodrame psychanalytique individuel

L’équipe du psychodrame propose des stages bénévoles destinés à des collègues psychothérapeutes analytiques ou psychanalystes formés ou en formation. Une expérience antérieure du psychodrame est bienvenue sans être indispensable. Il est demandé un engagement d’une participation de deux années aux séances hebdomadaires qui ont lieu chaque jeudi, hors vacances scolaires, de 16H30 à 20H15 à Psy-Campus avenue Buyl à Ixelles.

3 . Le psychodrame de groupe pour jeunes de 10 à 18 ans.

Le dispositif de groupe de psychodrame  est particulièrement indiqué pour des jeunes patients qui sont mal à l’aise dans le face à face avec l’adulte, qui présentent des difficultés de verbalisation relativement importantes, et qui sont susceptibles de trouver appuis et ressources au sein d’un groupe de pairs.

Ce dispositif se pense en lien avec un référent pour l’adolescent et sa famille.

Le Groupe mixte de 4 à 6 jeunes (de 10 à 18 ans) est animé par un couple de thérapeutes.

La durée de la séance est partagée entre les participants. Chacun dispose d’un temps de travail individuel avec le meneur de jeu durant lequel il est invité à proposer des scènes. Celles-ci seront ensuite jouées avec l’aide des autres. Enfin, un temps de parole est prévu après chaque scène jouée. 

Modalités pratiques

Le groupe s’ouvre régulièrement à de nouveaux participants dans les limites des places disponibles.

Les séances ont lieu chaque mercredi, en dehors des congés scolaires, de 14h00 à 15h00 au Centre de Guidance à l’ULB, rue Haute 293 à 1000 Bruxelles.

Le coût de la séance s’élève à 6 €.

Tout clinicien qui souhaite nous adresser un patient peut s’adresser aux thérapeutes responsables du groupe : Christophe du Bled et Natacha Cogan au 02/503 15 56. 

 

 

 

Que joue-t-on au psychodrame

(Exposé présenté dans le cadre de la journée d’étude d’octobre 2009 « Que joue-t-on? » – Association Belge de Psychodrame)

Bonjour à tous et merci aux organisateurs de cette journée de nous avoir donner la possibilité de débuter cette discussion en vous présentant nos conceptions du jeu psychodramatique au regard de nos théorisations « Ceffrapiques » et ceci, que ce soit dans notre pratique « de formation » au CEFFRAP, thérapeutique dans notre groupe hebdomadaire en privé ou même « de sensibilisation », comme nous venons, par exemple, d’en faire l’expérience au CFIP.

Nous avons construit cet exposé en 4 points et à 2 voix !

Je vais commencer par introduire la question du jeu (1), puis je vous dirai quelques mots sur ce qui peut spécifier notre dispositif (2), à savoir « Le groupe » et ici plus particulièrement « le scénario groupal » et « Le jeu interprétatif du psychanalyste ». Denis Hirsch vous parlera ensuite plus précisément de la question des transferts et de l’interprétation par le jeu (3), et, pour terminer, il illustrera notre propos par un exemple clinique (4).

1. Introduction

En quelques mots : Qu’est-ce, pour nous, un jeu psychodramatique?

Et je vais tenter de répondre à cette question d’une manière générale, quels que soient, donc, les différents dispositifs psychodramatiques que nous utilisons (psychodrame de groupe, en groupe, individuel…), et dont nous sommes ici, ce jour, différents représentants.

Pour en tracer les grandes lignes, je vais m’appuyer sur les théorisations de René Kaës et de René Roussillon.

Avec Winnicott nous connaissons le Play et le Game mais Kaës repère lui, dans la langue anglaise 4 modalités de Jeu , où, à chaque fois, comme il est dit dans l’argument de cette journée d’étude « Le plaisir n’est pas absent » :

Le Game, le jeu réglé

Le Play, le jeu libre, inventif, sans contrainte

Le Random, le jeu de hasard (en informatique Random veut dire Aléatoire)

Le Gamble, le jeu avec argent, jouer, parier …

– 1. Le psychodrame est un «game » : un jeu réglé par la parole qui énonce les règles du jeu, les espaces du jeu, qui insiste sur le faire-semblant.

Le game convoque la transgression possible : les sorties de jeu

Le plaisir du game est la sécurité

-2. Le psychodrame est un « play» : Winnicott a inscrit ce type de jeu comme prototype de l’espace transitionnel, de la créativité et de la rencontre.

Il qualifie le jeu comme aire d’illusion et expérience de créativité. Au contraire du Game, ici les règles ne sont pas données à l’avance…ce n’est pas qu’elles n’existent pas mais elles se créent en cours de jeu.

En reprenant le propos de Winnicott, on dira que le psychodrame se situe entre deux aires où l’on joue: participants et psychodramatistes (ou dans un certain type de psychodrames, les acteurs-thérapeutes) font partie d’un processus où chacun va être trouvé/créé par l’autre. La capacité de jouer suppose certaines conditions qu’instaure le psychodrame comme aire de jeu à dimension transitionnelle. Ces conditions relèvent des règles et donc du psychodrame comme Game !

Le plaisir du Play, comme celui du jeu de l’enfant c’est permettre de triompher de la réalité pénible sans l’abolir, grâce au processus de projection des dangers internes sur le monde extérieur.

Comme le dit R. Roussillon[1], « Au-delà de l’opposition de l’halluciné et du perçu, du « présenté » et du perçu, l’expérience du jeu est constitutive d’une expérience d’un nouveau type, celle de l’illusion subjective. Elle est l’essence même de l’expérience d’illusion, de la valeur de l’illusion pour le processus vital, elle donne sa réalité à l’illusion, lui permet de trouver le champ dans lequel elle prend toute sa valeur pour la symbolisation…(…)….L’illusion inhérente au « jouer » est donc à l’origine d’une expérience, subjective essentielle, celle qui permet de rencontrer, de percevoir et de s’approprier cette forme particulière de réalité qui est celle du symbole et des processus.

-3. Le psychodrame est aussi « random » : C’est-à-dire jeu de hasard: ce qui est en jeu, c’est ici le rapport à l’inconnu, le jeu avec le risque et l’incertitude.

Le Random introduit l’exploration de la relation d’inconnu au psychodrame.

Le plaisir du Random, c’est de triompher de la peur, de maîtriser l’inconnu mais c’est aussi le risque de découvrir en soi des facettes inconnues jusque-là (notre groupe interne) et d’avoir sur les autres et sa relation aux autres (relation d’altérité) un nouveau regard (un nouveau vertex dirait Bion)

 

-4. Le psychodrame est enfin « gamble » : Dans sa définition comme jeu d’argent, pari, le psychodrame est aussi « gamble » dans la mesure où l’économie du jeu psychodramatique est questionnée en terme de gains, pertes, profits

Ici le plaisir est le gain, gain de symbolisation, gain « d’ étoffement psychique » mais aussi perte, car en tant que favorisant un processus de transformation, le jeu psychodramatique peut générer la crainte de se perdre, de perdre ses anciens repères, de ne plus se reconnaître soi et de devenir un autre autant espéré que redouté !

Toutes ces modalités de jeu sont intriquées dans le psychodrame et cette intrication rend plus complexe la question de la rencontre avec l’autre – plus d’un autre en soi-même- et avec les autres. Elle confère d’autres dimensions au plaisir et à la jubilation du jeu, elle ouvre d’autres voies à la symbolisation. Roussillon dit que le jeu est aussi à l’origine d’un type de plaisir particulier, spécifique, qui est sans doute le plaisir prototype des sublimations.

2. Modalités Ceffrapiques

Après ce petit survol des « bienfaits psychiques » du jeu dans le processus thérapeutique et le travail de symbolisation des patients, et ce, comme je le pointais tout à l’heure, quel que soit le dispositif de psychodrame utilisé, je voudrais maintenant dire quelques mots de ce qui différencie le dispositif Ceffrapique des autres dispositifs de psychodrame.

En effet, il y a au moins 2 différences essentielles entre nos dispositifs et ceux, soit Moreniens et « post Moreniens », soit inspirés par les théorisations des « Lemoines », comme plusieurs d’entre vous ici l’utilisent, ou des « Kestemberg, Lebovici, Diatkine », comme le psychodrame individuel avec un meneur de jeu et des acteurs thérapeutes.

Ces 2 différences sont :

  • 1. La primauté du travail fait sur «Le groupe» avec son corollaire qui implique que le jeu est construit à partir d’un «scénario groupal»
  • 2. Le fait que les psychodramatistes peuvent jouer avec les patients (ou participants) du groupe, avec là donc la question de l’interprétation par le jeu!

Pour rappel, dans nos groupes, ce qui est proposé est un travail d’élaboration des processus intra et interpsychiques qui peuvent se déployer dans les registres conscients et inconscients, au travers d’une expérience de groupe associant la libre parole et le jeu psychodramatique.

Ce travail d’élaboration est fait, soit dans une visée clairement thérapeutique, dans le cadre d’un groupe au long cours et hebdomadaire, soit dans un but de formation, au cours de sessions de quelques jours (4 ou 5), ou de quelques week-ends mensuels. La « représentation-But » de formation n’empêchant nullement d’ailleurs que ce travail d’élaboration ait aussi des effets thérapeutiques !

Dans les 2 cas, ils sont conduits par 2 psychanalystes garants du cadre et des règles nécessaires à la conduite d’un tel travail. Ces règles sont la règle de libre association, la règle de discrétion, la règle dite d’abstinence (pas de contact entre th et pts autres que dans le groupe + pas de liens entre eux à l’ext) et la règle de restitution.

Partant de cette règle de libre parole, les échanges dans le groupe vont être l’occasion d’évocations de thèmes qui, à un moment, seront mis en forme de scénarios qui pourront alors être joués par ceux qui le désirent. Chacun, dans nos groupes, est libre de jouer, de demander à quelqu’un de jouer ou de refuser de jouer… Il y a là une grande attention portée au « chacun à son rythme » et donc à la possibilité pour chacun de rester « un peu en dehors »… De même, dans ces scénarios imaginaires, chacun prend un nom et un âge différents du sien, ce qui permet l’illusion de croire qu’on joue un rôle et qu’on ne parle pas de soi…je dis bien l’illusion… cette possible « fonction de méconnaissance » est encore un point dont nous pourrons discuter !

Les jeux donc sont le résultat d’une élaboration commune au départ de thèmes qui seront toujours à la jonction d’une problématique singulière – avec ses résonances dans l’histoire individuelle d’un sujet – et d’une problématique plurielle qui se tisse ici et maintenant dans l’histoire du groupe en train de se faire.

Le scénario du jeu émerge et s’inscrit dans un cycle spécifique, rythmé par l’alternance entre le jeu dans l’aire de jeu et le temps associatif dans l’aire de parole. Ce scénario est proposé par le groupe, dans le décours du fil associatif, des discours de chacun qui se répondent et s’associent dans une « polyphonie ».

Le jeu n’émerge que lorsque la « polyphonie » des discours et des fantasmes individuels peut se cristalliser, se précipiter en un fantasme organisateur du groupe, suffisamment commun et partagé par tous.

Ce fantasme commun et partagé témoigne de l’instauration d’un espace psychique groupal qui relient et intriquent les psychés individuels. Chaque participant va donc jouer un rôle qui sera à la fois sous-tendu par sa problématique singulière et par le fantasme qui organise le groupe et dans lequel il tient une place et une fonction ( porte-parole, porte-rêve, bouc émissaire, leader, thanatophore…).

Ce qui sera joué sera ensuite repris au niveau de chacun dans ses associations personnelles, à partir des traces corporelles, verbales, kinesthésiques et interactionnelles que le jeu aura fait surgir.

L’exemple clinique que Denis Hirsch va vous relater l’illustre bien !

Je vais donc m’arrêter là et lui passer la parole.

3. Transferts et interprétations par le jeu

La question ‘Que joue-t-on ?’ ouvre en effet une réflexion sur la spécificité des interprétations de l’analyste par le jeu et des modalités des transferts dans un groupe. En effet, dans le psychodrame de groupe, dès lors que se retrouvent plusieurs sujets dans un espace analytique, la notion de transfert se complexifie et se démultiplie. Le scénario et la scène de psychodrame sont toujours une mise en jeu de plusieurs transferts, à la fois individuels et groupaux :

Transferts individuels de chacun des membres du groupe

sur chacun des autres membres du groupe

sur le groupe (en tant qu’objet spécifique)

sur chacun des deux analystes

sur leur couple

Transfert de l’ensemble du groupe (en tant que réalité psychique spécifique non réductible à la somme des individus qui le composent)

sur chacun des deux analystes

sur leur couple

sur l’extérieur du groupe

sur l’institution qui mandate et dont se reconnaissent les analystes

C’est dire si le champ transférentiel est complexe…et intense !

Nous verrons dans l’exemple clinique que les champs contre-transférentiels et inter-transférentiels (entre les deux analystes) ne le sont pas moins !

Ainsi, la « pression » à figurer un thème puis à le jouer tient à la fois de la règle fondamentale d’association libre, et de l’invitation faite au groupe à utiliser le psychodrame. L’émergence d’un scénario témoigne d’un fantasme organisateur (ou désorganisateur) groupal suffisamment prégnant, sous-tendu par un transfert du groupe et de chacun sur les analystes. Ces mouvements transférentiels et ces fantasmes groupaux cherchent à se figurer et se symboliser dans le jeu.

Notre hypothèse est que le thème et le jeu se créent parce que le groupe est dans une quête d’élaboration et de figuration de ce sur quoi il achoppe, au sein du champ des transferts et des contre-transferts.

C’est en cela que RK dit que le modèle du jeu psychodramatique a des liens structuraux avec le modèle du rêve et avec le modèle du trauma.

Du côté des psychodramatistes, leur jeu sera adressé au groupe mais il aura une résonance sur chacun des participants, en fonction de son histoire et de la singularité de son transfert sur les analystes. On est ici à l’articulation du groupal et de l’individuel.

C’est parce que le personnage incarné par l’analyste s’intègre à un scénario choisi par le groupe que son jeu a paradoxalement non seulement valeur d’interprétation pour le groupe mais aussi un potentiel impact individuel sur chacun.

L’une des spécificités du psychodrame est que l’interprétation de l’analyste passe par le jeu, au plus près des processus primaires, de l’inconscient, du corps, de l’imprévu.

En cela, les paroles énoncées par le personnage joué par l’analyste dans l’aire de jeu n’ont pas la même valeur ni la même forme que celle d’une interprétation verbale depuis l’aire de parole ou dans une cure.

Le psychodrame est aux confins du rêve, de l’acte et du jeu, dit à juste titre RK.

L’analyste sait que chacun de ses gestes et paroles aura un impact considérable sur chacun des participants, de par sa place symbolique et de par les transferts dont il est l’objet.

L’analyste joue évidemment pour le groupe dont il a la charge ; son jeu tente d’interpréter la position fantasmatique et transférentielle du groupe et des personnages singuliers du jeu.

Mais le jeu de l’analyste est à double face. il joue aussi pour lui, à la faveur de la régression à laquelle invite le psychodrame. A son insu, son jeu sera signifiant et symbolisant pour les participants mais aussi pour le couple des analystes. Il mettra en jeu et en figuration des zones inconscientes de lui-même, de l’inter-transfert entre les analystes, ainsi que des liens fantasmatiques qu’ils ont avec l’institution de formation ou thérapeutique qui les mandatent.

Les analystes sont amenés donc à « jouer le jeu » avec le groupe, convoquant toutes les dimensions du jeu évoquées par Nadine. Nous jouons sans vraiment savoir ce que nous jouons, tout en étant observateur et garant du jeu.

Pour ma part, c’est l’oscillation entre ma position de garant du cadre (le game) et de l’espace transitionnel (le play) d’une part et ma prise de rôle dans sa dimension de pari, d’improvisation, de perte et d’ouverture à l’inconnu (gamble et random), c’est cet écart qui est le plus impressionnant. Un véritable exercice d’équilibriste, dont la prime de plaisir pour l’analyste n’est pas mince, à la hauteur des risques pris.

Ainsi, qui d’entre nous sait à l’avance ce qu’il va jouer ? Qui d’entre nous ne connaît pas cette terrible (et exquise) angoisse du psychodramatiste au moment d’entrer dans le jeu ?!

Nous croyons que c’est dans cet écart entre les différentes dimensions du jeu que réside la force mutative du jeu psychodramatique de l’analyste.

 

Afin d’illustrer le jeu de l’analyste dans sa dimension à la fois individuelle et groupale, je vais vous raconter un jeu de psychodrame de groupe, que j’ai intitulé le Jeu de l’accordage de piano.

4. Situation Clinique

Ce jeu se situe lors de l’avant-dernier jour d’une session résidentielle de psychodrame de 5 jours, composé de 3 petits groupes chacun animé par un couple d’analystes. L’une des 4 séances journalières réunit les 3 petits groupes de participants et les 3 couples d’analystes du Ceffrap, pour une séance en grand groupe.

Dès le début de ce groupe se sont imposés des thèmes de trop grande promiscuité et d’étouffement, de perte d’étanchéité entre les sujets du groupe et de crainte de perdre son identité propre. Ces vécus suscitent entre les participants des mouvements de violence fondamentale, de rivalité fraternelle meurtrière. « Il n’ y a pas assez de place pour tous ».

L’intensité de ces fantasmes fige le groupe, qui joue particulièrement peu.

Les participants ont apporté jusqu’à ce 4è jour très peu d’associations personnelles, de peur de mélanger toutes les histoires, «comme dans une fondue chinoise qui dissout tous les ingrédients différents en une seule mixture».

Ces fantasmes inquiétants sont vécus comme contagieux, contaminant de fait l’ensemble des participants…et les analystes.

Dans le transfert, le groupe a la représentation d’un couple d’analyste composé d’une mère trop veille pour avoir encore des enfants et d’un père effacé qui tarde à prendre sa place. Le groupe pense que les analystes n’investissent pas vraiment ce groupe et veulent s’en débarrasser. Le groupe se sent un mauvais groupe, car il n’a pas été « choisi » par l’un des autres couples de psychodramatistes de ce séminaire, à savoir celui dont fait partie René Kaës, fondateur et figure-phare du Ceffrap.

Ma collègue et moi tentons, hors séance, d’élaborer entre nous notre « inter-transfert », càd nos vécus conflictuels déclenchés par le transfert du groupe et les clivages que cela crée entre nous.

Nous évoquons aussi nos positions respectives dans l’histoire de l’institution Ceffrap – ma collègue envisageant d’arrêter bientôt son activité professionnelle, tandis que je me retrouve pour la première fois en position de jeune psychodramatiste, « initié » par ma collègue plus expérimentée. Tout cela n’est pas sans susciter entre nous des effets de transfert , centré sur une fantasmatique de filiation professionnelle et de rapprochement incestuel lié à notre différence de génération, en terme d’âge réel, mais aussi d’expérience et de place au sein de notre institution.

 

Ainsi, la réalité institutionnelle et fantasmatique au sein du lien entre les analystes rejoint-elle les fantasmes partagés des participants à notre égard, alimentés par les histoires individuelles de chacun, notamment la question de l’investissement par les parents envers leur enfant, qui est très présente pour plusieurs membres du groupe.

La réalité psychique individuelle de plusieurs membres du groupe, mise en commun, est devenu un fantasme groupal transféré sur le couple de psychodramatistes.

De l’élaboration de l’inter-transfert par le couple d’analyste dépend la possibilité que le groupe puisse se réapproprier et élaborer les fantasmes et les angoisses qui le traverse, et avancer dans le processus en cours.

Il est toujours saisissant de voir comment l’élaboration des enjeux inconscients entre les analystes relance aussitôt les capacités du groupe à associer.

Ainsi, le groupe émergera de sa sidération grâce à la représentation partagée d’un piano, massif et fragile à la fois, capable de faire de l’harmonie ou de la cacophonie. Emerge alors l’idée d’un scénario où il s’agirait d’accorder un piano qui vient d’être emménagé.

Le groupe souligne que l’analyste homme n’a pas encore joué et me sollicite pour jouer un accordeur de piano, ce que j’accepte, d’autant plus que je pense que le groupe tente ainsi de vérifier mon investissement et mon engagement envers eux.

Il s’agit de pouvoir jouer, en bon accordage avec les analystes, de l’instrument psychodrame, jusqu’ici trop désaccordé.

Le scénario s’affine et devient celui-ci :

Il y aura 3 cordes représentant chacun une note de la gamme (mi / la / si), jouées respectivement par 2 femmes et 1 homme du groupe ; Le propriétaire du piano est joué par un homme.

Le jeu :

Les trois cordes se mettent debout côte à côte tandis que le propriétaire appelle l’accordeur au téléphone. Je décroche en annonçant qu’il s’agit de l’entreprise d’accordage « Durand », fondée il y a 3 générations, de père en fils.

Je demande quel type de contrat souhaite le client ainsi que les prix croissants selon le nombre de ré-accordages possibles dans le temps. Un 2ème accordage 3 mois plus tard est de toute façon prévu. Le propriétaire du piano trouve que c’est assez cher, il hésite, il marchande, je reste ferme, il marque finalement son accord.

Nous fixons un rdv. Je précise que je ne pourrai venir que dans quelques temps.

Les cordes protestent et discutent entre elles, elles veulent être accordées immédiatement ou jamais, elles se demandent si cet accordeur est fiable et si elles vont se reconnaître après l’accordage.

Je reste en marge de l’aire de jeu quelques instants puis arrive chez le propriétaire.

C’est ici la fonction game (le jeu réglé) qui est à l’oeuvre, à savoir les limites, le cadre et les règles qui permettent que le jeu avec un analyste ne soit pas effractant, incestuel, trop excitant, dans les limites des différences de générations.

Je m’émerveille devant ce beau piano droit, je dis qu’il me semble ancien et de grande valeur. Je me place successivement face à chacune des cordes, qui de fait chantent leur note de façon totalement désaccordée (ce qui implique de leur part …un certain accordage !).

Je dis que ce déménagement a beaucoup bousculé le piano, qu’il y a du travail puis je me mets à mimer un accordeur et sa clef face à chaque corde individuelle

Je demande à chaque corde de se faire entendre pour vérifier la justesse de la note. Chacune des cordes réagit différemment à cette interaction :

Le MI proteste vivement contre mon intervention vécue comme brutale, elle veut rester telle qu’elle est ; l’interaction avec l’accordeur…en est d’autant plus prolongée, excitante et exclusive. Finalement elle accepte de s’accorder sous la pression des deux autres cordes qui attendent.

Le LA ne trouve pas la bonne tessiture et veut rester dans une gamme plus aigue que celle des deux autres notes ; elle proteste contre l’imposition et la restriction de sa tessiture à une seule gamme (castration).

Le SI reste muet lorsque j’appuie sur la touche et rien n’y fait !

C’est ici une figuration par le jeu dans sa dimension de trouvé-créé transitionnel, dans le vif de l’improvisation à plusieurs (play).

Ce moment du jeu figure bien notre travail sur le narcissisme et l’identité de chacun, au sein d’un espace transitionnel et symbolisant par le jeu.

On y voit et entend aussi la fantasmatique sexuelle en jeu (un analyste accorde avec sa clef un/une participante). Le groupe avait bien précisé qu’il ne fallait surtout pas que ce soit un piano « à queue » !

On voit ici comment se joue les transferts individuels des 3 participants sur l’analyste masculin (une corde unique) au sein du jeu groupal (le piano qui réunit les cordes singulières pour en faire un instrument polyphonique). C’est l’histoire personnelle de chacun qui, au sein du scénario groupal, peut se mobiliser.

Après un moment d’inquiétude et de sidération devant ce SI qui s’obstine à rester muet, je dis qu’il va peut-être falloir changer cette corde -là qui est trop ancienne.

Cela inquiète le propriétaire qui veut garder intact son piano qu’il dit avoir hérité de son grand-père.

Je dis que l’on fait maintenant des cordes plus résistantes et souples et que cela ne changera pas la qualité et la valeur du piano, bien au contraire. Un piano ancien ne peut être joué qu’à condition qu’on puisse le pratiquer régulièrement et qu’il soit harmonisé ; le piano risque au contraire de s’abîmer si on ne le joue pas.

Nouvelle inquiétude du propriétaire qui me demande si je suis vraiment compétent ; peut-être préfèrerait-il un accordeur qui a plus d’expérience.

Je lui dis que j’ai eu un très bon apprentissage de mes maîtres en accordage, mais que les méthodes de travail évoluent aussi avec le temps. Le propriétaire du piano finit par accepter le changement d’une corde. Je joue donc à changer la corde, en disant que c’est une nouvelle corde mais cela reste toujours la même note, qui est unique.

Cette formulation tente d’apaiser et d’interpréter la menace de perte identitaire face au changement, angoisse que ressent particulièrement ce participant jouant le SI, mais aussi l’ensemble du groupe depuis le début du processus.

Elle est aussi une auto-interprétation d’une question au travail en moi, mais aussi au sein du couple de psychodramatistes, entre les 6 analystes de ce séminaire, et plus largement, au sein de l’institution Ceffrap ; cette question conflictuelle porte – comme dans toutes les institutions – sur les rapports entre les différentes générations et sur la transmission des savoirs entre ces générations.

C’est donc un jeu qui s’est imposé à moi à la fois en réponse aux interactions avec les participants ET en réponse à mes propres enjeux transférentiels envers mon institution, laquelle a fondé le dispositif dont je suis l’un des « héritiers ».

Mais le SI ne sonne toujours pas ! Je demande au propriétaire s’il n’y a pas quelque chose de caché dans le corps du piano depuis longtemps, peut-être que son grand-père y aurait caché et oublié quelque chose, il y a longtemps ?

Je lui propose d’aller voir, il ouvre le couvercle du piano et, dans le jeu improvisé, en sort une pile de documents (à sa propre surprise, surprise de ce qui « sort » de son imaginaire, à la faveur du mouvement psychodramatique improvisé, surprise de la figuration inconnue qui s’impose à lui et au groupe : c’est le jeu-random ).

Le propriétaire annonce que ce sont des partitions composées par son grand-père, et qui ont beaucoup de valeur. Dès lors, le SI peut enfin se faire entendre (moment très émouvant du jeu) ! Le piano groupal est ainsi dégagé d’un dépôt transgénérationnel qui empêchait les générations suivantes de se faire entendre ! Ceci est valable à la fois pour les participants dans leurs histoires personnelles ET pour les analystes, pour qui la question de l’héritage transgénérationnel des fondateurs du Ceffrap est également à l’œuvre !

Le propriétaire veut me payer mais je dis que je dois encore vérifier que les notes, désormais accordées et audibles individuellement, sont bien accordée les unes par rapport aux autres. Je mime que je joue les 3 notes à la suite, le LA hésite encore à se mettre au diapason des autres puis les 3 notes chantent les unes après les autres, par note croissante et en rythme.

C’est sur ce très beau moment d’accordage groupal que ma collègue propose de mettre fin à la scène.

Suite à ce jeu, ma collègue et moi seront très bouleversés d’entendre, cette fois dans l’aire de parole, chacun des participants – ceux qui ont joué comme ceux qui ont regardé le jeu – l’un après l’autre, évoquer comme par « contagion » des évènements traumatiques personnels et familiaux, qui peuvent désormais se faire entendre à eux-même, aux analystes et aux autres du groupe, sans crainte d’une fondue chinoise où tout serait mélangé et dissous, mais dans un authentique moment de partage et d’élaboration. C’est l’impact du jeu dans sa dimension de créativité partagée et symbolisante (play).

Afin de souligner la résonance individuelle du jeu groupal, j’évoquerais pour terminer l’association personnelle évoquée dans l’après-coup immédiat de ce jeu par l’un des participants, à savoir celui qui a joué le SI muet.

Ce participant, de fait, très muet depuis 4 jours dans le groupe, du moins quant à son histoire personnelle, évoquera une rupture et un rejet brutal et énigmatique de la part de sa mère dans son enfance, une mère qui ne reconnaît pas son enfant comme le sien (ce qui fait écho avec le fantasme du groupe par rapport aux analystes). Pour lui, le moment le plus dramatique, qui lui est revenu pendant le jeu du piano, fut non pas cette rupture mais une fête familiale plus récente où une cousine lui dira qu’il a la même voix que sa mère, ce qu’il a vécu comme une filiation maternelle honteuse qu’il aurait voulu nier. Prend alors sens le fait qu’il soit resté muet quand l’accordeur tentait de l’entendre !!

Plusieurs participants évoquent alors des histoires traumatiques portant toutes sur l’originaire et la filiation : un erreur d’attribution de bébé à la maternité, des enfants morts à la naissance, des enfants non-désirés, des enfants non-reconnus, etc.

La réunion de ces histoires personnelles traumatiques a construit un fantasme groupal organisant la dynamique transférentielle dès les premières minutes du groupe.

On voit là comment la mise en liens des psychés individuelles, bien figurée par l’accordage groupal des cordes du piano, favorise une reprise mutative au niveau individuel, intrapsychique. Pour cela, le passage par le jeu de psychodrame sert de carrefour essentiel, grâce à ses potentialités transitionnelles entre l’intrapsychique et l’intersubjectif (le play).

C’est un passage de la synchronie du groupe (l’ici et maintenant) vers l’histoire personnelle et subjective, dans ses dimensions diachroniques et transgénérationnelles (avant et ailleurs).

On voit aussi qu’il y a eu, à partir d’une fantasmatique commune et partagée, un effet « billard », de résonance interne, de contagion mutative d’un participant à l’autre ( y compris pour ceux qui n’ont pas joué), alors même que l’histoire de chacun est singulière et unique.

Nous pouvons dès lors affirmer que le jeu de psychodrame figure, symbolise et transforme le fantasme inconscient du groupe, autorisant ensuite une reprise subjective pour chacun.

Alors, que joue-t-on ? Nous répondrons pour conclure, en citant cette belle formulation de RK, qui s’adresse tant aux participants/patients qu’aux psychodramatistes :

« Ce que tu veux montrer, ce qui ne peut faire signe ni prendre sens, il faut le jouer et en parler ».

Nous vous remercions de votre écoute



[1] René Roussillon : « Le jeu et le potentiel » RFP 2004-1 p. 79 à 94