Auteur: Jean-Claude Quintard
Observer est une procédure et une technique classique dans le travail des groupes mais le compte rendu de cette observation n’est pas toujours ni obligatoirement communiqué aux participants. Elle sert alors uniquement aux animateurs auxquels l’observateur apporte son analyse et ses commentaires après le déroulement de la séance de groupe.
Dans les groupes de psychodrame que nous animons nous accordons assez d’importance à l’observation qui est communiquée en partie aux participants dans les dernières minutes de la séance et qui la termine, je voudrais donner une idée de ce travail d’observation en envisageant successivement son but et sa fonction, son contenu et son élaboration, sa forme et son style. Évidemment certains de ces trois aspects se recouperont dans cet article.
Il existe des méthodes et des canevas d’observation décrits par différents auteurs notamment en ce qui concerne la dynamique de groupe. Nous ne nous inspirons particulièrement d’aucun et notre conception de l’observation s’est élaborée au fur et à mesure de notre pratique et de nos lectures.
Dans notre travail en coanimation alternée l’animateur d’une séance devient l’observateur de la séance suivante. Mais il ne devient pas pour autant forcément un personnage muet. L’observateur peut intervenir dans la séance en doublant un participant au cours du jeu psychodramatique ou aussi en dehors du jeu en se déplaçant derrière un participant pour le doubler dans une difficulté émotionnelle et un embarras d’expression. Sa position d’observateur le met parfois en meilleur position pour comprendre une situation et en faire part dans un doublage.
But et fonction
Mais revenons à l’observation proprement dite. Elle est à la fois un résumé de la séance -on a coutume de dire que l’observation est la mémoire du groupe-, et à la fois par la ponctuation donnée à la séance une forme d’interprétation et d’interjection. L’observation apporte quelque chose de nouveau : elle met en évidence certains éléments, elle en suggère d’autres ou elle questionne le bien fondé de certains propos avancés dans le groupe. Son efficacité tient au fait qu’elle dit ce qui s’est passé. Elle sert parfois à nommer, à mettre un nom sur un acte un comportement, ne fut-ce que sous une forme interrogative. Son but est d’arriver à une lecture reflétée de la séance qui est faite en référence à la théorie qui sous-tend le travail, des animateurs.
Contenu et élaboration
L’observation reflète le mieux le contenu de la séance en en rappelant le thème et en le rapportant éventuellement à celui de la séance précédente. Le thème (ou les thèmes) est habituellement traité ou introduit d’une manière particulière. L’observateur indique comment il s’est dégagé, dans la séance, le sens qu’il prend par rapport à la dynamique et le discours du groupe et il détaille les éléments signifiants qui le constituent.
Une place essentielle est habituellement faite au jeu psychodramatique dans l’observation. Le jeu est en rapport avec le thème et peut découler comme une suite linéaire de l’intentionnalité d’un participant. D’autres fois il aura été mis en place après un échange et des tensions entre participants ou par rapport aux animateurs ou après des refus d’autres situations de jeux ou des inhibitions. Le choix par le protagoniste (acteur principal) des membres du groupes qui dans la scène jouée prendront des rôles auxiliaires mérite d’être relevé.
Par exemple le protagoniste s choisi pour jouer sa mère une personne qui justement dans une séance ou une scène précédente s’est montrée particulièrement agressive alors que dans son jeu il va lui demander d’avoir un comportement opposé. Ce choix ne risque-t-il pas de faire échouer ce jeu ou au contraire ne s’avérera-t-il pas que si la mère représentée se montre différente de celle que le protagoniste présentait dans son récit c’est bien parce qu’elle est la représentation d’une mère intériorisée par lui et qu’une telle mère fait partie de ses images inconscientes agissant en lui à son insu.
Le jeu petit aussi faire apparaître des achoppements, des discordances, des décalages ou des aspects nouveaux_ Ceux-ci sont parfois provoqués par les réparties des rôles auxiliaires. Il faut signaler l’inattendu du déroulement du jeu, ou bien sa conformité étonnante avec la situation que le protagoniste veut représenter et qu’il aura ainsi réussi à induire parfaitement chez les acteurs des rôles secondaires. L’observateur relèvera les attitudes corporelles, les éléments non verbaux du jeu ainsi que les réactions du groupe et la façon dont le jeu s’est ter-miné.
L’observateur pointe ensuite quelques réactions exprimées dans l’après jeu. Celles-ci ont parfois permis la mise en place d’un deuxième jeu abordant une facette complémentaire du thème traité. L’observateur indiquera éventuellement d’autres jeux qui auraient pu se dérouler soit pour le protagoniste principal soit pour ceux qui ont réagi en écho et interroge ce qui y a fait obstacle.
L’observation est une improvisation dont il s’agit de clôturer l’élaboration alors qu’ont encore lieu les derniers échanges entre les participants et l’animateur dans la fin de la séance. Il faut donc avoir noté ou souligné tes principaux éléments autour desquels s’articulent les commentaire de l’observation. Je les inscris dans ta colonne de droite tandis que l’essentiel du texte de la séance est inscrit dans la colonne de gauche_ La présentation de l’observation au groupe ne suit pas nécessairement l’ordre chronologique de la séance et un système de numérotation et de renvois fléchés me permet d’ordonner mon propos.
Ces précisions techniques peuvent paraître relever d’une minutie tatillonne. Mais le travail de l’observateur a pour but d’isoler puis de relier les éléments signifiants et complexes qui se manifestent dans la séance pour en donner une présentation qui fasse sens. Pour certaines séances un fil conducteur se dessine assez tôt et les éléments signifiants viennent s’y accrocher au fur et à mesure du déroulement de la séance. Pour d’autres c’est la fin de la séance qui permettra de réorienter tout ce qui a précédé. Enfin pour d’autres séances l’observation reste assez proche du contenu manifeste.
Forme et Style
Le canevas d’observation que nous venons de décrire n’est jamais suivi à la lettre et l’observateur utilise selon les cas certains fils de la trame de la séance qu’il fait ressortir en restant de toute façon assez bref. La communication de l’observation au groupe ne doit pas dépasser trois à quatre minutes. En donner une illustration me parait difficile car il faudrait d’abord relater la séance. Mais après avoir donné une idée du travail effectué par l’observateur pendant la séance j’aimerais envisager la question de la forme qu’il donnera à la communication de son observation.
Pour les participants il y a une différence entre savoir ou dire certaines choses et se les entendre dire. C’est cet effet que l’observateur vise en retournant au groupe et aux participants leur propre discours et en donnant à la séance un certain relief à travers l’observation. Dans la forme de la communication l’observateur garde une certaine neutralité, et il relate un certain point de vue sur la séance. Il témoigne de ce qu’il a entendu et vu.
L’observateur résume la séance en s’adressant à la fois au groupe et à chaque participant et de telle façon que chacun puisse éventuellement se sentir concerné par ce qui est dit d’un autre_ C’est la raison pour laquelle dans l’observation nous adoptons comme règle de ne jamais désigner un participant par son prénom – ou exceptionnellement. Nous employons une forme impersonnelle et universelle : « Quelqu’un a voulu jouer ceci », « on a pensé », « plusieurs participants ont dit », « le père craie présenté comme. L’emploi du « on », a parfois heurté l’un ou l’autre participant auquel on avait appris à bannir de son vocabulaire « on » impersonnel. Notre intention est de relever une histoire et une logique dans lesquelles les mécanismes inconscients d’identification dépassent l’individu et notre but est de désigner derrière des rôles les instances symboliques qui concernent tous les membres du groupe. l’observateur peut ainsi garder une plus grande distance formelle par rapport à son dire. tout en s’impliquant dans sa parole.
L’observation est une partie constituante du psychodrame que nous pratiquons dans le respect des règles et principes ici décrits et en référence aux concepts psychodramatiques et psychanalytiques. Mais selon la personnalité de l’observateur interviendront des différences dans la forme donnée à l’observation. Par exemple j’utilise parfois les ressorts stylistiques de certains genres littéraires pour présenter l’observation et c’est bien modestement que je fais cette comparaison avec des genres littéraires dont les caractéristiques De sont employées que de façon limitée.
Mon observation peut par exemple prendre la forme du conte (il y avait une fois), ou celle tic la nouvelle brève ait du reportage (alors que le groupe discutait calmement quelqu’un s’en est pris à….), ou de l’histoire à tonalité drôle ou humoristique (on attendait… et c’est… qui surgit), ou de la devinette (à quoi pouvait-on penser quand…) ou du récit plus poétique. J’aime à l’occasion faire usage personnellement d’un proverbe ou d’un adage. Peut-être s’agit-il ainsi d’allier l’individuel à l’universel, et aussi de détendre le groupe avant la fin de la séance en évitant de faire de l’observation une réduplication monotone de la séance. Il me semble également que le style de l’observation peut faire raisonner et comprendre: un mode de communication et de relation dont le langage a été porteur pendant la séance.
Un danger pourrait guetter l’observateur : Celui d’en faire trop, de vouloir briller par son observation ou de donner trop de plaisir au groupe. Les conditions dans lesquelles l’observation s’improvise préservent habituellement l’observateur d’un tel risque. Il ne doit pas se vouloir le super-animateur ni le super-participant. Son observation doit garder une dimension d’ouverture et de questionnement.
On a comparé l’observateur au scribe. Son rôle est en effet celui de narrateur qui à la fois constate que l’histoire tient debout et à la fois se pose des questions à son sujet. II enregistre les contre-coups et les après-coups du psychodrame et tout en se posant des questions il les pose au groupe dans une forme renouvelée.
(Paru initialement dans Folia Psychodramatica Vol. 7 – 1988)