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La caractéristique du psychodrame est de faire passer du récit au jeu. Et même, si l’on se réfère à la théorie de Serge GAUDE, il serait plus correct de parler du passage du récit à la représentation, puis de la représentation au jeu, avec l’assistance de l’assistance, comme l’écrit subtilement Serge Gaudé.

 Quant on anime une séance, on part, nous le savons toutes et tous, de l’écoute du « discours » du groupe. Le verbe discourir est dérivé du verbe latin « discourrere » qui signifie littéralement « courir ça et là ». La parole des participants coure ça et là, sans qu’aucune consigne ne soit donnée, sauf celle de la spontanéité.  

 Dans ce discours spontané et associatif, l’animateur – en tout cas l’animateur formé à la SEPT –  saisit au vol, isole, un bout du récit d’une histoire vécue par l’un des participants, récit qu’il juge susceptible d’être représenté.  Représenté, donc remis au présent, ici et maintenant. Au temps présent.

Pour les enfants, jouer se conjugue classiquement à l’imparfait : «  Tu étais la papa, toi la Maman et moi le docteur. On était dans la  chambre des parents…»

Au psychodrame, jouer se conjugue au présent : « Vous êtes donc dans la chambre des parents. Où est le lit? Où est la porte ? Qui pourrait représenter ici  votre père ?

– Louis.

– Louis, acceptez-vous ?

– Oui.

– Bien. Venez, vous êtes le père de Pierre.

Dans le jeu psychodramatique, on revient donc au présent, le seul temps où il est possible de poser un acte, de changer quelque chose. On ne peut en effet poser aucun acte dans le passé, ni dans l’avenir.

Nous, les membres de la SEPT, ne faisons pas jouer des scènes fabulées, qui sont intemporelles, donc impossibles à inscrire dans ce fameux temps présent où une action, thérapeutique notamment, est possible.

 « La représentation est une sublimation sur fond d’humour, c’est-à-dire sur la base d’une castration acceptée » écrit Paul Lemoine.

LE JEU.

Dans le théâtre classique, des acteurs jouent, après les trois coups et le lever de rideaux, trois actes et quatre tableaux !

Le jeu du théâtre de l’âme se déroule sur la scène de la représentation. Les psychodramatisants y sont des acteurs avec d’autres, dits ego auxiliaires. Ils ont aussi les metteurs en scène et les responsables du casting.

Dans notre théâtre de l’âme, on joue directement, sans répétition, la répétition ! Dans l’espoir de la quitter évidemment. La scène y est jouée au présent pour qu’un acte puisse y être posé, que quelque chose puisse changer. Il s’agit d’un acte vrai, pas d’un acting-out ni d’un passage à l’acte.

 Ce qui peut arriver, ce que l’on est en droit d’espérer, est un vrai changement, que ce ne soit plus après comme c’était avant. Un acte de mise en ordre par exemple, de modification d’une identification, de prise de conscience d’un déni, etc. Nous y reviendrons.

Tout ça par la vertu d’un simple jeu…

Je me propose de vous livrer ici quelques remarques sur cette notion de jeu, pain quotidien des enfants et des psychodramatistes !

Le dictionnaire Robert donne comme première définition du jeu : « Une activité physique ou intellectuelle, non imposée et gratuite, à laquelle on s’adonne pour se divertir, en tirer plaisir. »

Il n’est pas dit en tirer de la jouissance. La jouissance peut arriver quand  il y a dépassement des limites, du cadre. Ce qui confirme l’importance du rôle de l’animateur, de celui qui dirige la séance : c’est lui qui fixe le cadre et contient les dépassements.

 UN JEU QUI A DES REGLES

Un autre sens du mot « jeu » est : la manière de jouer. Ainsi le jeu du diplomate est spécifique, le jeu de tel acteur est excellent, le jeu de tête de tel footballeur est très précis.

A propose de la manière de jouer et de foot,  une récente histoire belge est démonstrative : la fameuse faute de WITSEL sur WALISEWSKI.

Est-ce une simple  « faute de jeu » ? Alors, comme l’arbitre l’avait d’abord cru avant de voir la blessure, c’est une carte jaune. Il a fait une faute de jeu, il n’a pas respecté les règles du jeu, mais, averti, il peut continuer à jouer.

Ou  est-ce une agression, est-ce de la violence ? Alors ce n’est plus du jeu, et le joueur doit en être exclu. Ce que l’arbitre a fait quand il a vu le résultat sur le tibia du Polonais.

En psychodrame aussi il y a des règles au jeu, dont la principale peut se formuler ainsi : On peut tout représenter, tout dire, tout jouer, mais « on fait comme si. »

Une ébauche de passage à l’acte (un  petit baiser un peu plus appuyé que comme si, une petite tape un peu plus forte que comme si ) et l’animateur avertit, rappelle à l’ordre.

On ne se rencontre pas à l’extérieur, on n’a pas de relations interpersonnelles avec las autres membres du groupe. Ici encore, un non respect de cette règle  – si bien sûr un des animateurs l’a vu ou si l’un des protagonistes en parle – entraîne un rappel de la loi, une sorte d’avertissement.

En cas de récidive ou de  relation plus intime reconnue, il apparaît que le joueur, ou un des joueurs, s’est mis « hors jeu ».

L’ENJEU.

Dans les maisons de jeu, le maître est le hasard, mais dans un cadre légal.  Mais on est bien dans les jeux avec enjeu, même s’il s’agit de « jeux de hasard ». Dans certains jeux en effet, il y a un « enjeu » : une somme – ou un objet – est « mise en jeu ». Cette somme peut être attribuée au gagnant du jeu ou d’une « partie » du jeu, ou distribuée en parties, à plusieurs personnes, proportionnellement au classement.

Dans de tels jeux, quelque chose peut être gagnée… ou perdue ! La pub de la Loterie Nationale Française, il y a quelques années disait: « cette semaine, tous ceux qui ont gagné avait d’abord perdu 10 francs « 

S’il y a des parties sans enjeu, amicale, pour du beurre…(le beurre est-il le prototype de rien ?),  il y a aussi des parties avec de gros enjeux, comme pour ceux qui jouent à la bourse ou… au poker!

Le jeu psychodramatique est un jeu avec enjeu. On ne joue pas pour du beurre ! Même si on y découvre souvent les causes de vieilles pertes.

La notion d’acteur reprend ici tout son sens. Celui qui joue une scène au psychodrame est acteur de théâtre, mais il est aussi, dans son jeu avec enjeu, celui qui pose, qui pourrait poser, en tout cas, un acte.

C’est pourquoi, la question du jour est excellente : que joue-t-on en psychodrame, pour que les acteurs soient, si possible, acteurs de changement ?

Pour qu’un changement dans le vécu du sujet acteur puisse advenir ?

Pour avancer dans cette question, rien ne vaut le récit d’une scène de psychodrame avec enjeu !

L’exemple du JEU DE CARTES.

José raconte sa déception : il jouait récemment une partie de Whist avec des copains Un vrai jeu, avec 20 euro de mise par personne. Il a perdu lors d’une donne, alors qu’il avait un beau jeu. «  Quelqu’un a dû tricher »

«  Si on rejouait cette partie ? » propose l’animateur. Il accepte.

En piste, il doit choisir ses compagnons de jeu : Pierre, son grand ami de toute confiance, et – à la surprise de l’animateur – deux femmes : Rosette, la femme de Pierre, assez jolie, mais qui se déclare mauvaise joueuse de Whist, et Charlotte, la propre épouse de José.

Le cadre du jeu est l’agréable salon de chez Pierre.

José se souvient parfaitement de son jeu, qui lui garantissait logiquement 4 plis. Il se souvient que les deux femmes étaient « emballées » en Pique, que Rosette avait les deux as noirs. Pierre devait avoir un piètre jeu, il n’avait rien proposé dès le premier tour.

A la fin de la donne, José n’avait ramassé qu’un pli !

On essaie de jouer la partie, tant bien que mal. Ce n’est jamais satisfaisant pour José.

L’animateur lui propose un changement de rôle avec son ami Pierre. Et là, à la surprise générale, il commence à sourire tendrement à celle qui joue Charlotte, sa femme. Cette dernière lui répond d’un clin d’œil. On reprend ses places, sans que le jeu n’ait été plus loin qu’une banale fin de partie de cartes.

José se tait. « Pourquoi ai-je joué ce jeu avec Charlotte ? » dit-il enfin.

Celle qui était Charlotte dans le jeu répond : « J’étais mal à l’aise, je ne savais pas si c’était José ou Pierre qui me faisait de l’œil » 

« Mais Pierre, ce n’est pas possible ! Je l’aime comme un frère, plus ! »

Un participant, jusque là silencieux, se risque : « Tu l’aime tant, que tu lui laisserait ta femme en cadeau ? » Rire de toutes et tous, sauf de José : « Tu as raison. Je me dis souvent que Pierre la rendrait plus heureuse que moi. »

Et après une longue inspiration : «Comme Oncle Louis rendait Maman plus heureuse que ne le faisait Papa. »

Et voici comment surgit l’Œdipe de José, dont la remise en forme est souvent en jeu du psychodrame, voire l’enjeu du psychodrame.

JOUER UN REVE.

Il arrive aussi que,  au cours du tour de chauffe ou au décours d’une scène jouée, quelqu’un raconte un rêve qui lui revient en mémoire.

Cette scène, survenue au plus près de l’inconscient, qui a traversé la censure de la conscience, est une production du sujet.

Le rêve est vécu comme … vécu ! Avec des affects parfois violents ou une neutralité étonnante vu la dureté des scènes vécues par le rêveur.

Le rêve peut donc être considéré comme une scène vécue, et, à la SEPT, il peut être joué.

Il faut reconnaître que les psychodramatistes débutants ont un peu peur de faire jouer un rêve. Ils n’osent pas jouer à l’apprenti sorcier.

Mais les plus chevronnés, surtout s’ils ont été analysés eux-mêmes ou mieux, s’ils sont devenus psychanalystes, sont plus à l’aise pour diriger ces jeux. Même si la représentation du rêve, ici et maintenant, dans l’espace de la séance, avec des protagonistes en chair et en os, est un exercice étrange.

Mais, quand les choses se passent bien, avec une direction de séance qui a bien en tête qu’il s’agit  de la représentation d’une composition onirique et non d’une scène de la vie réelle, un tel jeu peut être très utile pour celui qui le joue.

De mon expérience, il offre moins de possibilités de relance pour les questions des autres participants ? Hormis bien sûr le fait de leur évoquer un rêve à eux, qu’ils racontent à leur tour.

Alors, la séance est relancée, bien relancée !

REMANIER

Revenons aux effets attendus du jeu psychodramatique représentant des scènes vécues ou rêvées.

Le jeu est un acte au présent, comme dit plus haut.

Un acte de mise en ordre – par exemple des places dans les générations,

Un acte de modification d’une identification aliénante,

Un acte de  prise de conscience d’un déni, notamment dans la sphère « incestuelle ».

Il ne s’agit pas d’un changement fondamental, un changement de structure n’est certes pas à attendre. D’ailleurs aucune « thérapie » sérieuse ne vise à un tel changement : les psychotiques resteront psychotiques, les pervers resteront pervers.

Mais les névrosés – qui forment encore le plus gros de nos troupes –  peuvent voir s’éclairer leurs identifications, voir leurs symptômes, et ainsi les voir se modifier, être moins douloureux, moins prégnants.

Je dirais en terminant, que le dispositif du psychodrame, et spécialement su l’on y joue bien des jeux avec enjeu, permet des remaniements importants des inhibitions, symptômes et angoisses des névrosés.

Dr Henri De Caevel, Tournai

Ce texte reprend l’essentiel de l’exposé effectué lors de la Journée d’étude « Que joue-t-on en psychodrame ? « organisée par l’Association Belge de Psychodrame le samedi 17 octobre 2009 à l’Hôpital Psychiatrique du Beau Vallon-Namur.