Ouvrage passionnant qui revisite un présupposé communément admis, à savoir l’impact de la pensée de Claude Lévi-Strauss sur celle de Jacques Lacan. Cependant, Carina Basualdo nous parle d’une rencontre ratée. Elle parcourt l’œuvre des deux penseurs pour tenter de définir leurs rapports.
Quel est l’intérêt que revêt ce sujet aujourd’hui ? Jamais auparavant l’intégralité de leurs travaux n’avait été mise en relation/confrontation. Seulement des extraits, et le plus souvent sortis de leur contexte et érigés en dogmes.
Un premier constat s’impose. Si Lacan se réfère fréquemment aux travaux de Lévi-Strauss, ce dernier ne cite Lacan qu’une seule fois – en 1950 – et ira même jusqu’à affirmer ne l’avoir jamais lu.
Avant de poursuivre l’analyse des deux parcours – du psychiatre et de l’ethnologue – le titre nous donne à réfléchir : Freud, entre parenthèses, glissé entre les deux noms, tel un tiers médiateur…
1949 marque pour Lévi-Strauss la naissance de l’anthropologie moderne ainsi que du structuralisme (Les structures élémentaires de la parenté). En cette année Lacan a achevé d’élaborer sa théorie du stade du miroir comme formateur de la fonction du JE (on sait, grâce aux notes précises de Françoise Dolto, que ce cheminement avait été parcouru par lui depuis 1936).
En réalité, Lacan évoque trois stades du complexe d’Œdipe :
1. Le complexe du sevrage, dominé par l’image maternelle
2. Le complexe d’intrusion, l’apprentissage de la jalousie dans la genèse de la sociabilité
3. Le complexe d’Œdipe (Lacan estime qu’il faut tenir compte à ce propos du relativisme culturel et le déclin social de l’image paternelle).
Plus tard Lacan précisera qu’il y a lieu d’ajouter un quatrième élément : il s’agit de la relation narcissique au semblable comme expérience fondatrice du développement imaginaire.
Le complexe d’Œdipe a une fonction signifiante.
Claude Lévi-Strauss accorde une place prépondérante à l’opposition nature/culture. Il reviendra cependant sur cette opposition pendant ses années « mythologiques », assimilant de plus en plus les mythes à une glose moralisatrice.
Après un long séjour aux deux Amériques et la rédaction de Tristes Tropiques, Lévi-Strauss semble vivre une harmonie paradisiaque avec la nature, affirmant que c’est dans cette relation que la vie peut « saisir l’essence de ce qu’elle fut et continuer d’être ». Mais en même temps, la nature provoque peur et attirance : il est donc nécessaire de s’en protéger. Lévi-Strauss élude toute implication de la pensée, se cantonnant uniquement à l’ordre symbolique. Il tend vers une réconciliation avec la nature, lieu projectif d’harmonie. Ce qui suppose que l’on se préserve de l’agressivité humaine (l’auteur rappelle que sa seule référence à Lacan concernait « l’agressivité en psychanalyse ».
Plus tardivement, il affirmera ne pas nier la violence déjà présente au niveau cellulaire, mais toujours résorbée, entre autres grâce à la pitié, sentiment qui préexiste à toute vie sociale.
Lacan étudie le rapport entre l’agressivité et l’origine du Moi à partir du carrefour structurant du stade du miroir, dont découlera le complexe d’Œdipe.
La rupture entre les deux penseurs paraît tout à fait évidente, même si la pensée sociologique a eu un certain impact sur Lacan. Aux yeux de Carina Basualdo, il est essentiel de reconnaître ce « ratage » afin de proposer un nouveau dialogue entre sciences sociales et psychanalyse.