Compte tenu de l’apport exceptionnel de cet ouvrage, d’une rare pertinence, je me permettrai d’en faire ici une recension particulièrement détaillée. Le titre fait évidemment référence à l’ouvrage de Freud, publié en 1929 (« Le malaise dans la civilisation »), dont la thèse consistait à affirmer que la culture est susceptible de contenir des pulsions destructrices rendant toujours possibles des retours à la barbarie.
Comment expliquer ce « malaise » ? Il semble à cet égard qu’il faille faire entrer en jeu des notions complexes et multiples. Et aujourd’hui ? Le « malaise » est-il dans la continuité de celui que décrivait Freud ? Est-ce qu’il revêt d’autres formes selon les époques ?
En interaction avec diverses disciplines thérapeutiques, la psychanalyse peut nous aider à cerner ce malaise par une écoute attentive ainsi qu’une invitation à une rencontre en ouverture à l‘autre.
Avant-guerre déjà, Lacan s’inquiétait de l’effritement de l’autorité paternelle et il a même exprimé la crainte en 1967 que la civilisation entière ne devienne psychotique.
François Richard décrit l’évolution de la société contemporaine qui se trouve en mal d’altérité, l’absence de reconnaissance mutuelle suscitant des pathologies identitaires narcissiques. Et de rappeler la thèse exposée par Freud dans « Le malaise dans la civilisation » pointant les contradictions et les répressions ainsi que la manière dont elles sont perverties ou transformées à l’intérieur des individus qui forment une collectivité et donc une civilisation.
Mais comment reconnaître cette complexité aujourd’hui, à notre époque où les repères semblent tellement flous et qu’une « tyrannie » invisible – mais qui se laisse difficilement décrypter – paraît s’installer ?
L’auteur formule l’hypothèse que le déficit actuel de la fonction paternelle a engendré des formes nouvelles de pathologies (individualisme effréné, processus pulsionnels primaires sans limites…).
Les demandes formulées par certains patients connaissent également une mutation : ils exigent des solutions rapides, d’où le succès de nouvelles approches, telles que les thérapies cognitives, le coaching…
En fait, on se borne ainsi aborder les problèmes en surface dans le mesure même où l’on se trouve dans l’incapacité de saisir la dimension inconsciente de la souffrance. Si aujourd’hui les contraintes paraissent effectivement moins importantes, les besoins psychiques internes et les références à la Loi ne diminuent pour autant, ce qui a pour effet de provoquer un sentiment dépressif généralisé.
François Richard affirme que notre société s’est libérée d’une forme trop verticale et patriarcale de l’autorité pour sombrer dans un déficit éthique.
L’observation des adolescents est essentielle car c’est à l’adolescence que tout est bousculé, mis à nu, de façon souvent brutale, pour être replacé sous contrôle à l’âge adulte. Mieux connaître les enjeux de ces débordements adolescents nous ouvre des pistes permettant de cerner les pathologies des adultes de demain et l’approche qui leur est appropriée.
L’adolescent d’aujourd’hui se présente davantage comme un jeune adulte à l’enfance bien lointaine, dont la problématique met en lumière – entre autres – des problèmes d’addiction, de libido sans désir… Comme si on avait fait l’impasse sur l’Œdipe, phénomène sans doute lié aux nouvelles structures familiales. Si l’approche thérapeutique doit évoluer en fonction de ces nouvelles mutations, en revanche le thérapeute ne peut jamais se dessaisir de ses connaissances théoriques.
Enfin, l’auteur consacre un dernier chapitre au lien entre la littérature et la psychanalyse, un rapport très étroit dans la mesure, bien avant la psychanalyse, la littérature a su capter des parcelles de notre inconscient. Et il n’est pas rare qu’en lisant un grand texte on s’y sente totalement dépossédé, comme si notre propre miroir s’y trouvait révélé, «l’essentiel semble demeurer dans une réel hors récit».
Lecture-relais, questionnements à l’infini, un voyage vers soi. Contrairement à la succession rapide de « bests » qui anesthésient nos pensées et entretiennent un état dépressif permanent.