Les ancêtres de la psychiatrie moderne en France sont Pinel et Esquirol. Le premier a pleinement vécu la Révolution Française, le second seulement comme enfant. Ils se sont posé la question – comme tellement d’autres d’ailleurs – s’il existait un lien entre la folie, les délires, d’une part, et les bouleversements et violences politiques, de l’autre. Travail extrêmement vivant et original : Laure Murat s’est plongée dans les notes des médecins aliénistes. Non seulement leurs écrits scientifiques, mais aussi les archives médicales contenant leurs observations à l’état brut et qui s’avéraient le plus souvent beaucoup plus complexes et nuancées.
Le titre de l’ouvrage fait référence aux événements décrits par Esquirol.
Chateaubriand, observateur attentif de l’époque, avait noté que Napoléon marquait le monde mais que mort il le posséderait. Et, en effet, lorsque Napoléon quitte la scène réelle, son mythe devient omniprésent. En 1840, ses cendres sont ramenées à Paris et Esquirol voir arriver à l’asile de Bicêtre pas moins de quatorze Napoléons !: « Jamais prénom n’a signifié à ce point le génie stratégique et la volonté de puissance, ni silhouette si bien incarnée la quintessence du pouvoir et de la domination hégémonique. Un bicorne, une redingote, et c’est l’empereur qui surgit. Jusqu’à son tempérament, abrupt, tyrannique, Napoléon se confond avec sa caricature. L’homme qui se prend pour Napoléon a toujours le même profil. Autoritaire, capricieux, colérique. Impérial. ».
Un cas clinique décrit par le Dr. Leblond. Un homme arrive à l’asile. Délirant : il se prend pour Napoléon. Il est violent, frappe et injurie les domestiques car à ses yeux tout paraissait indigne de lui, l’Empereur. Avec beaucoup de ruse, le médecin l’affronte : « Oui, vous êtes l’empereur Napoléon, mais Napoléon à Saint Hélène ». L’homme se calme de suite. Il était impossible de lui dénier sa qualité d’empereur mais le reconnaître en insistant sur la déchéance constituait une manière de le mettre sur la voie du réel.
La folie, son expression nous informe autant que le rêve. L’auteur y décèle d’ailleurs une secrète parenté.
Si le titre évoque Napoléon, l’auteur nous rappelle que la naissance de la psychiatrie moderne est contemporaine de la Révolution française et de l’apparition de la guillotine.
La Révolution, la Terreur qui s’en est suivi ont provoqué de violents chocs émotionnels. Ce qui caractérise les patients victimes des « événements de la Révolution », c’est la hantise de perdre leur père, dans tous les sens du terme. Et l’auteur nous fournit une série d’exemples, tel ce perruquier qui se tranche le cou – geste mimétique après la décapitation du Roi. Pinel déclarait qu’après l’exécution du Roi, la France entière avait perdu la tête ainsi que son père, symbole d’autorité.
L’auteur nous donne également une description détaillée des institutions de l’époque et des confusions entre psychiatrie et police, maisons d’arrêt et maisons de santé, confusions qui vont perdurer durant de longues décennies encore.
Rappelons que Pinel a été un précurseur de l’écoute et qu’il a libéré les malades de leurs chaînes.
Les traitements introduits à l’époque et censés calmer l’agitation – tels les bains-douches glacés, les machines rotatives qui provoquaient nausées et vertiges – paraissent aujourd’hui extrêmement barbares.
Remarquable portrait d’une époque.