A quelques jours d’intervalle, deux psychodramatistes importants sont décédés cet été 2024. Bernard Robinson (28/7/1943 – 2/7/024) et Pierre Fontaine (12/6/1924-17/7/2024). Nous reprenons ici les hommages que leur ont adressés Chantal Nève-Hanquet et Pascal Graulus.
Message d’hommage de Chantal Nève-Hanquet à Pierre Fontaine
Pierre,
Mon grand ami Pierre,
Au jardinier si délicat qui fit un jour éclore la jolie fleur de la Verveine, je commençais ainsi mon message d’hommage le jour de ton éméritat.
Verveine, nom qui a été donné à ce groupe de pratique et de formation au psychodrame. Tu en es le fondateur.
Le psychodrame a été un des piliers de ta vie.
Tu mènes les groupes dans ton living, le sens familial s’inscrit déjà par cette initiative. Chaque année se rassemblent Herestraat tous les membres des groupes de psychodrame. La famille s’agrandit.
Tu participes aux rencontres européennes et tu deviens le Professeur Fontaine pour certains, Pierre pour d’autres.
En 75 avec Jacques Taminiau, dont il a été fait allusion dans ta prise de risque d’engager un homosexuel engagé, tu organises à Leuven une rencontre européenne qui fut une réussite, certains de l’assemblée peuvent s’en rappeler.
La Verveine ne peut garder sa dimension familiale c’est ainsi que vers les années 75, elle devient une des activités du CFIP. (Centre de formation et d’Intervention Psychosociologique.
Avec différents collaborateurs dont Vincent Magos, nous l’avons perpétué.
Parlons un instant de la place que tu vas avoir au niveau européen.
Ton côté fédérateur et ta sagesse sont reconnus par tes collègues.
Un groupe de formateurs de différents pays d’Europe et de Méditerranée se réunissent en 1995 à Stockholm puis à Glasgow et enfin à deux reprises à Leuven.
Ta détermination et ta foi à créer avec tes collègues une association européenne ont permis qu’en 1998, FEPTO naît sous le nom de Fédération européenne des organismes de formation au psychodrame. Tu en seras vice- président car avec ton humilité, tu ne souhaites pas avoir la première place.
Merci Pierre pour ce côté fédérateur.
Parlons de la chaise vide dont Jean a introduit la cérémonie d’adieu. Cette chaise vide, tu l’as utilisée à de nombreuses occasions notamment lors des séances de supervision. Tu invitais alors les personnes présentes à prendre le rôle des personnes dont il ou elle parlait.
Si je t’évoquais une situation, tout de suite tu me demandais : « As tu mis en scène?Si je te disais « Non » Chantal : « N’oublie pas d’utiliser la représentation psychodramatique ! »
Pour les membres de FEPTO, tu es un homme avec un grand cœur pour le meilleur du psychodrame dans le monde, tu es un homme fantastique, tu inspires un esprit de recherche, un esprit d’éthique, de solidarité où toutes les différences peuvent cohabiter.
Ce matin, la notion d’invisible a été relevée, je laisserais dans l’invisible ce qui nous relie depuis tant d’années entre autre les séjours à Middelkerke où au fil des ans, j’ai assumé différentes fonctions afin que nous ayons du plaisir de profité de ces séjours amicaux.
Lors de ma dernière visite, quand je te partageais ma reconnaissance de toute cette amitié, tu ponctuais les échanges en disant »Autant pour moi » Aujourd’hui, je te dis « Autant pour moi » Merci pour tout ce que tu as été pour moi, pour notre famille et toute la grand famille des psychodramatistes
Message d’hommage de Pascal Graulus à Bernard Robinson
J’ai rencontré Bernard en 2000, lorsque le CDGAI proposait, à Liège, une formation didactique au psychodrame. Je découvre au cours de ces années un univers et un être qui va me bouleverser et entraîner des choix de vie majeurs.
Cette aventure va devenir une histoire de transmission, de compagnonnage, de collègues en psychodrame et en psychanalyse, d’amitié, à travers le groupe didactique que nous allons co-animer ensemble, à deux pendant quelques années, ensuite à trois, avec Anne-Sophie Alardin, et, enfin, que tu nous en remettes la responsabilité.
Ce sera aussi l’aventure du CERP à Liège. Au fil des groupes de sensibilisation au psychodrame, des groupes thérapeutiques, des rencontres, séminaires, des restaurants, nous découvrons notre passion commune pour le jazz -une passion qu’enfant de la guerre, tu mettais en lien avec l’arrivée des Américains et la libération après la terrible offensive allemande de 1944 dans la région.
Que te dire donc, Bernard, dans ce parcours en commun. Que m’as-tu transmis ? Que nous lègues-tu ?
D’abord l’intensité de ta présence, de ton écoute, de ton silence. Ta capacité à te taire, à laisser en suspens tout ce que tu croyais savoir.
Malgré l’autorité qui se dégageait de toi et de ton verbe, cette aptitude que tu avais de t’arrêter, de laisser résonner ce que l’autre disait, d’intégrer un avis, une suggestion, voire une critique. Quand tu étais pris dans un transfert trop massif, j’ai pu admirer cette capacité de t’arrêter, de t’analyser, d’écouter le passionnel en toi. Une leçon, des leçons de Vie.
Ta vision large de l’humain
Docteur en psychologie, tu l’étais. Mais, à l’instar de ta carrure écossaise, il te fallait plus large. Ce que tu appelais « une anthropologie clinique élargie ». Elargie à la psychanalyse, et aussi à l’anthropologie, à la phénoménologie, à la linguistique, à la philosophie. Elargie ensuite à l’art/par l’art : musique, peinture, danse.
Il y avait des Maîtres que tu citais à l’occasion : Freud, Schotte, Szondi, Lacan, Jean Florence. Tu rendais à César.
Il y eut aussi, dès le début, ce personnage que tu ne cessais d’aller rechercher, pour le saluer et le critiquer, mettre en avant l’originalité, l’inventivité de sa geste : le psychodrame. Ce héros fantasque, dyonisiaque, excessif et génial, Jacob Levy Moreno. Sans doute t’es-tu, un peu ou beaucoup, identifié à lui.
Formules, surgissements
Travailler avec toi, puis te lire, c’était souvent partager ton étonnement d’un surgissement, d’une formule, d’un Eurêka !
« Dans le psychodrame, par le groupe, par le jeu, le participant, comme l’analysant dans la cure de parole, SE transmet quelque chose à lui-même. »
Comme Freud, tu te laisses séduire par l’œuvre d’art. Mais tu restes humble : pas question d’annexer par le savoir psychanalytique le mystère de l’œuvre d’art. « L’œuvre d’art précède toujours l’analyse qu’on en fait. » écris-tu. « L’approche de l’œuvre d’art peut aider à comprendre l’expérience psychanalytique et l’expérience analytique peut aider à comprendre l’expérience artistique. » Il s’agit d’un mouvement dans les deux sens.
Avec toi, et avec Alain Didier-Weill, nous sommes amenés à nous approcher de cette inquiétante étrangeté de l’Inconscient. Et de constater, souvent sans en comprendre grand-chose, comment, par quels mystères, l’art, le rêve, le symptôme, le jeu, le lapsus, le mot d’esprit, arrivent à contourner le refoulement et, partant, à provoquer un plaisir particulier.
Avec Alain Didier-Weil, tu nous nommes le mystère de cette mise en contact, dans 4 directions : l’inouï (la fameuse « note bleue » en jazz), l’invisible (avec Kandinski qui t’interpelle), l’immatériel et l’irreprésentable.
Pour notre œuvre en commun, cela s’est traduit par une après-midi joyeuse et festive (« Le moment fragile du soliste ») co-organisée au Jazz Pelzer Club à Liège en 2016, prolongée par les journées de l’Ecole belge en 2017 à Spa, et intitulées « Jazz et psychanalyse ».
L’amour, l’enfance, la transmission
Deux thèmes insistent dans ton œuvre, l’amour et l’enfance. L’amour génital bien sûr, l’amour dans la génération.
J’ai parlé du mot d’esprit. Bernard, tu étais un homme du bon mot, de la blague, de la table et de la bonne tablée.
Le jeu et le rire peuvent bien rimer ensemble. Chez les adultes, notamment dans le psychodrame, qui n’est pas qu’un drame.
Dans l’enfance où tout semble possible. Ou l’on peut vivre les choses à la fois sérieusement et pour du rire. On les trouve et on les crée, ces choses. Dans le même moment, dans le même geste. L’enfance ne t’a jamais quitté.
Je termine en mettant en évidence une de tes dernières productions. Elle est écrite d’abord sous les divers confinements du COVID et envoyées par WhatsApp à tes enfants et petits-enfants :« Un village d’Ardenne , altitude 8.0 », et parue sous le pseudo de Fred Marchal.
Tu penses ensuite à en faire un petit livre, et c’est une bonne idée.
Ce sont des histoires d’enfances. La tienne en fait partie. Des histoires de vols, de disparitions, de fantômes dans un château que l’on apprivoise, d’une petite fille qui fait danser les écureuils, etc.
Le héros s’y trouve comme démultiplié par ses Ego-auxiliaires, affublés de déguisements bigarrés :
• L’inspecteur russe Lagachetov et son chien Poutine ;
• Grégor Mac Travisch, policier écossais de sa Majesté ;
• L’espion arabe Ibn Sidi Barbap Appa.
Une lecture jubilatoire, si l’on veut y retrouver tes aspects facétieux et joyeux !
Merci à toi Bernard, qui pars sans savoir ce que tu nous as transmis ou pas. Sache que c’est un trésor inestimable. Qu’il sera un honneur pour nous, comme pour le laboureur, de continuer à y travailler, encore et toujours. Joyeusement.
Pascal Graulus
8/07/2024.